Des médecins irresponsables

Didier Raoult, Jean-François Delfraissy, Martin Hirsch. Trois médecins, trois acteurs essentiels de la crise du Covid : le chantre de l’hydroxychloroquine (HCQ), le président du Comité d’éthique et du conseil scientifique Covid, le directeur de l’APHP (Assistante publique Hôpitaux de Paris). C’est le tiercé gagnant qu’Agnès Buzyn épingle dans son Journal – et encore, m’a-t-elle précisé récemment, « je n’ai pas raconté le dixième de ce que j’ai vu, ce que j’ai su ».

Reprenons donc, en commençant par « le dingue de Marseille » comme elle l’appelle dans son livre. Plus encore que les deux autres il mérite qu’on s’y attarde, tant il incarne toutes les dérives auxquelles on a assisté durant l’épidémie du coronavirus. J’y consacrerai donc l’essentiel de ce post.

Je me suis amusé à mettre en regard les pages où elle parle de lui et les post de blog que je lui ai consacré (d’où les nombreux liens que vous pourrez ouvrir dans celui-ci). Sans surprise, j‘ai constaté que nous avons la même opinion, les mêmes reproches en face de celui qui se vante d’être « un des meilleurs virologues au monde ».

Je n’aurai pas la cruauté de dresser la liste exhaustive de ses erreurs ou de ses déclarations à l’emporte-pièce. Ce serait trop facile. Juste, pour mémoire, le fait que selon lui il y a « probablement plus de morts en trottinette en Chine que par le virus » (31 janvier 2020), que la HCQ est « efficace et que le coronavirus est l’infection respiratoire la plus facile à traiter » (25 février), qu’un vaccin serait « inutile » (30 avril). 

Je savais également, sans ouvrir le livre d’Agnès Buzyn, que Didier Raoult avait bien avant le Covid déjà proféré des énormités, notamment dans ses chroniques dans Le Point : le réchauffement climatique n’existe pas (2016), il est recommandé de s’exposer au soleil dès l’enfance (2014), le vin est bon pour la santé (2011) – j’en passe et des meilleures. En revanche, j’ignorais que, dès le début de l’épidémie, le dirigeant de l’IHU de Marseille s’est assis sans vergogne sur les principes éthiques les plus élémentaires. Explication.

Apprenant le 29 janvier 2020 que la ville de Marseille est choisie pour accueillir les premiers Français rapatriés de Chine, la ministre s’inquiète : « Dans le milieu médical, Raoult n’est pas connu pour son sens de la coopération ni pour son humilité. Il va vouloir communiquer à tout va et être le propriétaire des prélèvements et des résultats, alors que nous avons besoin d’un esprit d’équipe et d’un partage d’informations », écrit-elle page 152.

La suite lui donne malheureusement raison : avant même que les 200 Français s’installent dans le centre, son équipe exige de faire des prélèvements sauvages dès leur arrivée. Les rapatriés sont surpris ils n’ont pas été informés mais le personnel de l’IHU insiste lourdement, au point que des gendarmes doivent carrément s’interposer et leur barrer la route !

La complaisance des médias

Ces prélèvements se pratiquent évidemment sans protocole établi, sans cadre scientifique, sans comité éthique – au motif, explique Raoult, que ce serait de la « paperasserie inutile ».  Agnès Buzyn s’en indigne, tout comme elle émet très vite dans son livre des doutes sur le sérieux des essais qu’il mène avec la HCQ. Nous sommes quelques-uns à partager cette intuition dès sa première vidéo de février 2020 sur YouTube. Mais nous ne pesons pas lourd face aux déclarations tonitruantes de Raoult, relayées pendant des mois par des médias bienveillants (Paris Match, BFM…), quand ils ne cèdent pas aux thèses complotistes : Sud Radio avec André Bercoff, mais plus encore C News. C News, qui n’hésite pas à inviter Luc Montagnier, ancien Prix Nobel de médecine devenu antivax, et Didier Raoult bien entendu, qui a table ouverte chez Hanouna sans jamais être contredit par quiconque.

A de nombreuses reprises dans son Journal, Agnès Buzyn dénonce à juste titre la complaisance de certains journalistes, trop heureux d’inviter une « star mondiale » qui bénéficie en outre du soutien d’un ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy qui ose lancer une pétition pour la HCQ et accuse le gouvernement de « cacher la vérité aux Français sur son efficacité »

Ce ne sera pas le seul médecin à soutenir Raoult : Renaud Muselier, directeur de clinique et président du conseil régional de PACA, Dominique Maraninchi, ancien directeur de l’Agence du médicament et de l’Institut national du cancer, Jean-Luc Harousseau, ancien président de la Haute Autorité de Santé … La liste est longue de ces professionnels de santé – et pas des moindres – à s’être fourvoyés, qui par incompétence qui par cynisme, et qui refusent aujourd’hui encore d’admettre leurs erreurs. Il est vrai que, de son côté, Didier Raoult persiste et signe : en mai 2023, il ose toujours prétendre que la QCQ est efficace, s’attirant au passage une condamnation de l’ensemble des sociétés savantes françaises.

Des attaques antisémites

En ce sens, Didier Raout et ses soutiens ont fait beaucoup de mal. Alimentant ce que j’ai appelé dans un post du « populisme médical », ils ont renforcé la défiance envers les autorités publiques, ralenti le recrutement des essais cliniques, alimenté l’idée que les chercheurs étaient à la solde des labos pharmaceutiques. Bref, ils ont abimé, et pour longtemps, l’image de la médecine en général et de la recherche en particulier.

Il y a pire encore. Par pudeur sans doute, Agnès Buzyn ne s’étend pas sur le sujet mais elle subit des attaques antisémites d’une violence inouïe de la part des partisans de Raoult. Concrètement, elle est accusée, avec son mari Yves Lévy (à l’époque président de l’Inserm) et Jérôme Salomon (directeur de la DGS) d’être les méchants juifs qui ont introduit le coronavirus dans le pays et refusé l’accès à la HCQ, ce médicament miracle produit par un laboratoire français. De l’extrême-droite aux Gilets Jaunes, nombreux sont ceux qui relayent sur les réseaux sociaux la rumeur tout en apportant un soutien sans faille à Didier Raoult. Ce même Raoult qui, sans les valider, se garde bien de condamner officiellement ces thèses nauséabondes.

Difficile, dans ces conditions, de comprendre le silence assourdissant des institutions officielles censées défendre l’éthique et notre système de santé. L’Académie de médecine, l’Agence du médicament, le CNRS, le Conseil de l’Ordre des médecins : aucune d’entre elles ne réagit, aucune d’entre elles ne rappelle que la recherche obéit à des principes fondamentaux (essais menés avec rigueur, partage des données obtenues, information éclairée des patients, publications dans des revues sérieuses …) que Raoult transgresse allègrement. Aucune d’entre elles ne s’insurge devant les mensonges éhontés qu’il profère devant l’Assemblée nationale en juin 2020 – mensonges qui, je le rappelle, équivalent à un faux témoignage avec à la clé une peine qui peut aller jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Ces institutions ont-elles eu peur d’affronter l’opinion publique, peur que Raoult ait raison malgré toutes ses outrances ? En tout cas, elles se taisent.

Difficile également de comprendre la visite que rend Emmanuel Macron en avril 2020 à ce même Raoult, qui plus est sur ses terres. Un déplacement que j’avais jugé « démagogique » dans un post.  « Affligeant », estime pour sa part Agnès Buzyn dans son Journal, qui prend toutefois la défense du Président : il voudrait ainsi, explique-t-elle « montrer que toutes les pistes sont ouvertes et que rien ne sera négligé pour protéger la santé des Français ». Il faut croire, toutefois, qu’elle n’en est pas si convaincue car elle ajoute aussitôt après : « Au fond de moi, j’espère vraiment que c’est la seule et unique raison, et qu’il n’a pas été séduit par le ton péremptoire et le discours pseudo-savant du personnage » …

Un sentiment d’impunité

On comprend mieux, en revanche, le sentiment d’impunité durant la crise du Covid de Didier Raoult qui bénéfice, de fait, de la bienveillance sinon du soutien jusqu’au plus haut sommet de l’État. Bienveillance également du côté de Jean-François Delfraissy qui se déplace ce jour-là avec le Président. Car ce n’est pas seulement le représentant du Conseil scientifique nommé par Macron qui l’accompagne. C’est aussi, Agnès Buzyn le rappelle dans son livre, un des membres du conseil d’administration de l’IHU de Marseille.

Une confusion des genres encore aggravée par le fait que le Pr Delfraissy est resté président du Comité national d’éthique. Dès lors, quand ce dernier s’exprime, au nom de qui prend-il la parole ? Quand il évoque le fait de tester tous les Français, quand il assure que le confinement ne durera pas longtemps, quand il suggère de confiner les personnes âgées à la sortie du confinement, est-ce le Comité d’éthique, le conseil scientifique ou le membre de l’IHU qui s’exprime ? Agnès Buzyn a la dent dure, mais elle étaye ses arguments.

Autre médecin à en prendre pour son grade : Martin Hirsch, directeur de l’APHP au moment de la crise du Covid et qui n’apparait pas sous son meilleur jour – litote … Non content de refuser qu’elle reprenne ses fonctions à l’hôpital au lendemain des municipales, il n’assume pas sa décision et l’accuse même d’abandon de poste ! Pire, en avril 2020, il encourage la publication d’un communiqué triomphant affirmant qu’une équipe de l’APHP a découvert un traitement efficace contre le Covid. Aucun résultat n’a été publié, aucun article n’a encore été accepté par une revue scientifique. Bref, l’APHP se conduit comme Didier Raoult, sans respecter les protocoles en vigueur.  Mais Martin Hirsch n’en a cure. Il faut à tout prix montrer que ses équipes parisiennes travaillent aussi bien qu’à Marseille.

On pourrait croire en lisant ce post qu’Agnès Buzyn dézingue tout le monde à tout va. Il n’en est rien. Au contraire : tout au long de son livre, elle prend systématiquement la défense des soignants, elle salue la qualité de la prise en charge des patients à l’hôpital, elle admire le dévouement des équipes sur le terrain. Mais il est bon, de temps en temps, que certaines choses soient dites.

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