les mensonges de Raoult devant les députés

Ce qui est bien avec le Pr Raoult, c’est qu’il n’a pas besoin d’aller à la pêche aux compliments. Il se les fait tout seul, et sans la moindre retenue. De fait, j’attendais avec impatience l’audition du Pr Raoult par les députés et je n’ai pas été déçu. Trois heures et quart de questions/réponses, trois heures et quart d’autosatisfaction qui ont illustré jusqu’à la caricature cette personnalité qui est « une star mondiale », qui a un conseil scientifique « qui fait rêver le monde entier où il n’y a que des stars », et qui a tout « compris lucidement dès 2001 ». N’en jetez plus !

En face, du côté des députés, l’ambiance était tout aussi conciliante avec, chez la quasi-totalité d’entre eux, une fascination assumée et des questions aimables qui faisaient davantage penser à ses nombreuses interviews télé qu’à une véritable enquête parlementaire. Bref, les échanges furent courtois, pour ne pas dire complaisants. C’est d’autant plus regrettable que, hormis quelques réflexions tout à fait pertinentes, Didier Raoult a alterné contre-vérités éhontées, contradictions flagrantes et insinuations douteuses. Revue de détails, en rappelant que des mensonges proférés devant le Parlement sont susceptibles de valoir à leur auteur cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende…

De vraies questions posées par Raoult

Personne, y compris ses plus farouches détracteurs, ne le conteste : Didier Raoult possède une forte antériorité en virologie, il a fait des découvertes importantes, il dirige l’un des établissements de pointe dans la recherche en France. Des qualités indéniables qui lui permettent de pointer quelques vérités parfois dérangeantes.

Ainsi, le fait que la France ait commis une grave erreur en refusant de mettre en place une politique ambitieuse de tests du Covid 19.

Le fait que les États aient abandonné aux laboratoires pharmaceutiques la maitrise de la recherche fondamentale et la mise en place d’essais cliniques.

Le fait que les publications scientifiques de réputation mondiale aient un taux de rentabilité impressionnant et que les enjeux financiers pèsent dans le choix des publications.

Le fait que la santé publique, ce soit « 70% de politique et 30% de médical »

Le fait que depuis une vingtaine d’années, les vrais progrès médicaux se font de plus en plus rares – le cancer et l’hépatite C mis à part – mais que les traitements, eux, sont de plus en plus chers. Je salue à ce propos le talent de communiquant de Raoult, lorsqu’à la toute fin de son audition il a mentionné la greffe fécale comme « le médicament le plus révolutionnaire depuis le 21ème siècle ». Il fallait oser !

Des mensonges éhontés

Je ne vais pas énumérer ici toutes les approximations, demi-vérités et inexactitudes qu’il a proférées trois heures durant, ce serait trop long. Je me contenterai de trois exemples précis.

« Je n’ai jamais dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague ».

Brigitte Bourguignon, la présidente de la Commission, lui a timidement rappelé ses propos sur BFM, elle s’est fait envoyer sur les roses avec la plus parfaite mauvaise foi. Car non seulement Raoult l’a dit et redit dans des interviews, mais il l’a aussi affirmé dans une vidéo publiée sur son propre site.

« Il n’y a que 4 essais randomisés publiés dans le monde et 3 d’entre eux montrent que mon traitement est efficace ».

Faux, archi-faux ! Trois concluent par une absence d’efficacité, le 4ème est plus prudent et quant à Recovery, l’essai le plus vaste mené à de jour, en cours de publication, il incite sans ambiguïté aucune à l’arrêt du traitement

« Près de 50% des médecins dans le monde prescrivent de l’hydroxychloroquine ».

Ce mensonge, que Raoult avait déjà proféré sur BFM, s’appuie sur un sondage qui n’a pas la moindre validité scientifique. Durant son propos liminaire, Raoult avait pourtant affirmé « J’aime bien les données brutes. Je me méfie beaucoup de la façon dont on manipule les chiffres ». Il faut croire que tout dépend de qui manipule quoi…

Des contradictions flagrantes

Là encore, je renonce à l’exhaustivité pour ne prendre que trois exemples où Raoult dit tout et son contraire durant son audition.

« Les méta-analyses sont le fait de gens qui ne soignent pas de malades »

« Nous, à Marseille, on a fait une méta-analyse sur toutes les études intégrant l’hydroxychloroquine »

« La randomisation (tirer au sort deux groupes de malades) est un rite très récent imposé par l’industrie pharmaceutique. Ce standard ne me convainc pas. »

« Une étude randomisée menée en Chine montre clairement l’efficacité de notre traitement »

« Tout essai qui comporte plus de 1000 personnes est un essai qui cherche à démontrer quelque chose qui n’existe pas ».

« Nous avons publié une étude sur 3 700 patients. C’est la plus importante jamais menée en France »

Des insinuations douteuses

Durant toute l’après-midi, Raoult a profité de son audition pour régler des comptes personnels. Avec l’Institut Pasteur, « qui ferme le vendredi à 17 heures ». Avec l’Inserm, « qui a abandonné la recherche à l’hôpital et viré ses meilleurs éléments ». Avec des revues scientifiques telles que le Lancet ou le NEJM (revues dans lesquelles il a pourtant régulièrement publié)  qui sont des « menteurs » et font des « études bidon ». Avec le Conseil scientifique (dont il n’a toujours pas démissionné), qu’il présente comme « une bande de types (sic) qui ont l’habitude de travailler entre eux » et qui l’ont « regardé comme un extra-terrestre ».

Mais ses attaques les plus virulentes, Raoult les réserve aux laboratoires pharmaceutiques et en premier lieu à Gilead. A l’en croire, ce dernier qui ne commercialiserait que « très peu de produits » (c’est quand même Gilead qui est à l’origine du premier traitement contre l’hépatite C, excusez du peu !) aurait « une influence considérable ». Il imposerait sa propre molécule, le Remdesivir, contre le Covid 19 dans les essais cliniques, il empêcherait la publication d’études sur l’hydroxychloroquine. Et Raoult de mentionner un article rédigé par son équipe qu’il qualifie de « malicieux », censé démontrer que toutes les études défavorables à son traitement seraient rédigées par des auteurs payés par Gilead. Corrélation, causalité ? Peut-être s’agit-il juste d’une « coïncidence », fait-il mine de s’interroger.

Raoult va plus loin encore en accusant à mots à peine couverts certains membres du Conseil scientifique d’être achetés par Gilead. « Vous n’avez qu’à regarder leurs déclarations de liens d’intérêt » lance-t-il aux députés. Des noms ? Des exemples ? Des preuves ? Raoult ne va pas jusque-là, et lorsqu’un député lui demande des précisions, il se garde bien d’en donner, préférant faire peser la suspicion sur tout le monde.

Bref, sans le dire mais tout en le disant, Raoult insinue que l’ensemble de la communauté médicale est « pourrie » et que si son traitement est critiqué, c’est parce qu’il coûte peu cher. Des accusations graves, sans fondement avéré, qui alimentent la veine complotiste de ses partisans. Les députés se seraient honorés à le pousser dans ses retranchements, à le confronter à ses mensonges, à ses contradictions. Ils ne l’ont pas fait. Tant mieux pour lui, tant pis pour la vérité.