M. Douste-Blazy, ça suffit !

230 000 signatures ! Aujourd’hui 6 avril, Philippe Douste-Blazy doit se réjouir : la pétition qu’il a lancée exigeant que les médecins de ville puissent prescrire les traitements préconisés par le Pr Raoult rencontre un franc succès. Précisons, parce qu’il se garde bien de le faire, que Philippe Douste-Blazy est également administrateur de l’établissement que dirige le Pr Raoult…

A lire la pétition en question, il y a pourtant de quoi être dubitatif, tant elle mélange approximations, contre-vérités et formules à l’emporte-pièce. Des exemples ? Elle vante une étude chinoise censée prouver l’efficacité de la chloroquine, en ignorant délibérément toutes celles qui montrent le contraire. Elle promeut « la décision hardie » du Président Trump qui autorise la prescription à l’hôpital, en « oubliant » qu’il en va de même en France. Jusqu’à cet argument épidémiologique qui laisse pantois : « un taux de mortalité chez les personnes hospitalisées beaucoup plus faible à Marseille que sur le reste du territoire ». Sauf que la chloroquine n’étant pas donnée à tous les malades marseillais, y aurait-il une immunité spécifique et quasi miraculeuse dans la cité phocéenne ?…

Pour autant, rien n’arrête Douste-Blazy dans sa croisade. Depuis qu’il a décidé de « reprendre du service » (sic), l’ancien ministre de la Santé se répand dans les médias. Il est partout, sur toutes les chaines. C’est Martine en blouse blanche, Martine en costume, Martine à l’hôpital, Martine en plateau-télé, Martine avec une charlotte sur la tête, Martine avec du gel dans les cheveux. N’en jetez plus !

Parce que les journalistes manquent parfois de mémoire (ou qu’ils sont trop jeunes), ils oublient d’interroger Douste-Blazy sur ses expériences passées de dirigeant gouvernemental. Elles ont été nombreuses : ministre de la Culture (1995), ministre des Solidarités (2004), ministre des Affaires étrangères (2005). Mais, surtout, ministre de la Santé entre 1993 et 1995 sous la férule de Simone Veil. Et sur son passage à ce poste, Philippe Douste-Blazy aurait beaucoup à dire. Plus exactement, il y a beaucoup à dire sur son bilan.

Rappel des faits. En 1994, Douste-Blazy organise une conférence de presse pour présenter son « combat contre l’épidémie des vingt ans à venir ». Ce jour-là, le 21 avril, le ministre de la Santé révèle des données terrifiantes. Il déplore « 100 000 nouvelles contaminations d’hépatite B chaque année en France », il ajoute que l’hépatite B se transmet par la salive, et que les enfants peuvent être contaminés à l’école. Dans la foulée, Douste-Blazy annonce un programme de vaccination massif. Tous les établissements scolaires sont impliqués ; les généralistes sont incités à la proposer à l’ensemble de la population ; des dépliants sont envoyés dans les cabinets médicaux. Et une grande campagne d’information est diffusée à la télévision, à coup de spots anxiogènes.

Comme tous les journalistes, j’ai relayé ces chiffres. J’ai repris les arguments du ministre. J’ai encouragé les Français à se faire vacciner. J’ignorais, comme tout le monde, que ces chiffres étaient faux – en réalité, la contamination ne se fait pas par la salive et le nombre de nouvelles contaminations se situait, selon les estimations rétrospectives, entre 8 000 et 24 000 personnes.

Le résultat de cette campagne de communication tous azimuts a été au-delà des espérances du ministre. En trois ans, près de 25 millions de Français se sont fait vacciner. Et ce qui devait arriver arriva : parmi ces 25 millions, plusieurs centaines de Français (1 300 environ) développent, de façon concomitante, diverses affections auto-immunes dont des cas de sclérose en plaques.

On le sait aujourd’hui, il est statistiquement « normal » que sur une population aussi large, des problèmes de santé surviennent avec ou sans vaccin. Mais à l’époque, il n’y avait pas de recul, on parlait peu de sclérose en plaques. Du coup, les personnes victimes de maladies auto-immunes les attribuent au vaccin. Persuadées qu’il s’agit d’un effet indésirable, elles accusent le gouvernement d’avoir sciemment proposé, voire imposé, un vaccin potentiellement dangereux.

Personne ne sait vraiment ce qui a poussé Douste-Blazy à lancer un programme de vaccination aussi ambitieux qu’unique au monde. Ni pourquoi il a donné des chiffres complètement faux. Depuis, des journalistes ont pointé quelques faits troublants – comme le soutien financier d’un labo fabriquant ce vaccin dont il a bénéficié pour sa campagne municipale à Lourdes. Des associations de patients ont dénoncé le poids des lobbies pharmaceutiques. Des avocats ont réfuté des avis d’experts travaillant à la fois pour des labos et pour des agences sanitaires.

Maladroite ou scandaleuse, cette campagne de vaccination a en tout cas engendré rumeurs et fake news en tous genres. Elle a provoqué, chez les parents, une crainte durable du vaccin contre l’hépatite B chez les nourrissons – ceux-là même qui, justement, devraient en bénéficier. Plus globalement, elle a déclenché au sein de la population française une réticence forte vis-à-vis de la vaccination en général. Et accrédité l’idée que la santé publique serait dictée par les seuls impératifs financiers. Et 25 ans plus tard, les dégâts se font encore sentir.

Aujourd’hui, face à l’épidémie de Covid 19, de nombreux Français sont persuadés que les pouvoirs publics mentent. Que nos gouvernants sont achetés par les labos. Que le Pr Raoult est « empêché » parce que la chloroquine ne coûte pas cher. Aujourd’hui, le mouvement anti-vax se porte mieux que jamais et le complotisme se nourrit de fantasmes. La faute à qui, monsieur Douste-Blazy ?