Tous masqués dès six ans ?
Masques obligatoires dès six ans. Cours en virtuel trois jours par semaine. Classes divisées par deux en présentiel, « en plein air si possible ». Prise systématique de la température, retour à la maison en cas de fièvre. Et distribution de masques pour tout le monde.
Faut-il aller jusque -là ? Au moment de revenir en classe, un collectif de médecins alerte : « L’école n’est pas prête » et le protocole retenu par le gouvernement « ne protège ni les personnels ni les élèves ». Lancée ce week-end, la pétition est signée une quinzaine de spécialistes dont Karine Lacombe, cheffe de service à Saint-Antoine, réputée pour son sérieux et son opposition résolue à Didier Raoult. Autant dire que ces recommandations ne méritent d’être étudiées.
Sur le principe, on ne peut que souscrire : toute mesure susceptible de limiter le nombre de contaminations constitue un but en soi. A l’étranger en tout cas, certains pays ont déjà mis en place les restrictions proposées par le collectif. En Espagne par exemple, le masque est obligatoire à l’école dès l’âge de six ans. Et dès la maternelle en Corée. Au Danemark, le nombre d’élèves est limité à 12 par classe. Sans que cela ne provoque de débat ou d’opposition des parents d’élèves et des enseignants.
Quant à savoir si le collectif sera entendu par les pouvoirs publics… Personnellement j’en doute. Distribuer des masques aux enfants ? Le gouvernement a déjà répondu par la négative, arguant notamment que cet achat relève des familles. Faire cours en plein air ? On en reparlera en novembre. Prendre la température tous les matins ? Outre que la fièvre n’est pas un symptôme généralisé de Covid 19, j’imagine mal les auxiliaires de vie scolaire passer une partie de la matinée à tester les enfants un à un, avant de les autoriser à entrer en classe.
Mais surtout, le rapport « coût/efficacité » d’une telle obligation me laisse perplexe. Autant je vois bien le coût en question (pour les enseignants, pour les élèves) en termes de qualité d’échanges verbaux et non-verbaux, autant je vois moins l’efficacité attendue.
En l’occurrence, la quasi-totalité des études sur les enfants aboutissent à des conclusions similaires. Premier point : les enfants sont moins contaminés que les adultes. Deuxième point : même contaminés, ils développent des formes en général bénignes, sauf lorsqu’ils ont des comorbidités, en particulier l’obésité. Troisième point : même s’ils ont une charge virale élevée, ils semblent transmettre peu le virus entre eux ou à des adultes, comme le montre une enquête française.
Bref, même si des risques de transmission existent sûrement, en pratique on a toutes les raisons de penser qu’ils sont faibles voire très faibles.
Dans ces conditions, les préconisations du groupe de médecins français sont-elles justifiées ? Sans un plan strictement sanitaire la réponse est oui – d’autant que les connaissances d’aujourd’hui sur la contagiosité du virus seront peut-être réfutées demain. C’est d’ailleurs en fonction de ce principe de précaution que les restaurants sont fermés à Marseille à partir de 23 heures. Et que, bientôt, ils pourraient l’être à Paris ou dans d’autres grandes villes de France.
De façon générale, les mesures les plus efficaces sont connues. Elles ont déjà été mises en place au printemps : obligation de télétravail généralisée, confinement national, limites de déplacements dans le territoire etc. Même si, en matière sécurité sanitaire, on peut toujours faire plus, on peut toujours faire mieux. De fait, entre la Chine qui enferme littéralement ses habitants et la Grande-Bretagne qui a envisagé sérieusement de « laisser filer » le virus, il y a un monde…
Au fond, la seule question qui vaille c’est « où mettre le curseur ? » Car la santé publique ne se résume pas à des considérations purement sanitaires- sauf à négliger les conséquences, dans la vraie vie, de ce maximalisme idéologique qui vise à faire baisser le taux de contamination avant toute autre considération. On l’a vu dans les EHPAD par exemple : confiner les résidents dans leur chambre 24 heures sur 24, c’était pertinent sanitairement mais humainement désastreux. Tout comme il était insupportable de ne pouvoir assister à l’enterrement d’un proche en raison du nombre limité de personnes autorisées. Ou d’être séparé(e) de son conjoint, de ses enfants, pour de simples motifs géographiques.
Ce « maximalisme idéologique » et sanitaire que j’évoquais à l’instant a fait des dégâts terribles sur les plans économique, familial, sociétal, psychique. Individuellement et collectivement. Absence de certitudes scientifiques, climat anxiogène, crainte d’une judiciarisation du virus : de nombreux facteurs expliquent l’attitude des pouvoirs publics, plus ou moins autoritaires selon le moment. Le problème, c’est que les ministres n’ont pas toujours été d’accord entre eux, et que ces divergences ont pu donner le sentiment dans l’opinion publique d’une navigation « à vue ».
Il serait peut-être temps de faire preuve de plus de pédagogie encore et, surtout, de pragmatisme. Ainsi, à l’école, plutôt qu’un masque pour tous les enfants, mieux vaudrait isoler un élève malade dès les premiers signes, tester systématiquement ses camarades, proposer ces tests aux parents. Et, surtout, accepter l’idée que toute contamination n’est pas forcément la preuve d’une quelconque « faute ».
Je n’ignore pas les difficultés que rencontrent les pouvoirs publics au moment de cette rentrée scolaire si particulière. De toutes façons, il va faire des mécontents. Les uns diront qu’il n’en fait pas assez. Les autres, que c’est déjà trop. Déni d’un côté, panique excessive de l’autre : la voie est étroite. Le gouvernement va devoir prendre des risques. Cela s’appelle faire de la politique.