445 millions d’euros : amende record pour les labos
445 millions d’euros d’amende ! Quand l’Autorité de la Concurrence sanctionne, elle met le paquet. La note est salée, les griefs sévères (entente illicite, discours trompeur, dénigrement…) et l’image de l’industrie pharmaceutique bien écornée. Une image que les labos commençaient justement à redorer grâce à leurs efforts pour lancer rapidement un vaccin contre le Covid 19. Ca tombe mal…
Ca tombe d’autant plus mal que le scandale était connu depuis des années et qu’il illustre jusqu’à la caricature certains petits arrangements entre amis et les dérives inexcusables qui en résultent. Car les conclusions de l’enquête de L‘Autorité de la Concurrence sont implacables : pendant des années, trois labos se sont entendus pour surfacturer à la Sécu un médicament efficace, mais qui aurait dû coûter 30 fois moins cher. Montant total de ces remboursements inutiles : deux milliards d’euros ! Oui, vous avez bien lu : deux milliards. En regard, avec une amende de 445 millions « seulement », ils ne s’en sortent plutôt bien.
Tout cela est d’autant plus désolant que le début de l’histoire est une belle avancée thérapeutique. Développé par Genentech, le médicament en question, le Lucentis, est le seul traitement efficace contre la DMLA, une maladie qui est la première cause de malvoyance chez les plus de 50 ans dans les pays riches. Commercialisé par Novartis en 2007, il est cher (1 161 euros l’injection unique) mais donne d’excellents résultats. Prescrit à des dizaines de milliers de Français, son coût pour la collectivité s’envole, au point de devenir le premier poste de remboursement pour les médicaments en ville : 390 millions d’euros en 2012, 438 millions l’année suivante !
Hasard ou coïncidence ? Deux ans avant, ce même labo Genentech avait développé une autre molécule, un anticancéreux appelé Avastin et commercialisé, lui, par le laboratoire Roche. Et voilà que les médecins, découvrent au fil du temps, que leurs patients cancéreux soignés par l’Avastin guérissent de la DMLA et qu’il est aussi efficace que le Lucentis. Avantage : il est trente fois moins cher que le Lucentis (30 à 40 euros l’injection). Inconvénient : il n’a pas obtenu d’autorisation officielle dans cette indication.
Le bon sens voudrait que Roche en fasse officiellement la demande, que l’Agence du Médicament accepte et que les spécialistes le prescrivent. Oui mais voilà… Le bon sens ne va pas dans le sens des intérêts financiers des trois labos car le Lucentis leur profite bien davantage : Novartis touche les produits de la vente, Genentech touche des redevances sur ces ventes et Roche, actionnaire principal puis actionnaire unique de Genentech profite des bénéfices de Genentech. Bref, tout le monde récupère une part du marché !
Mus par des considérations de santé publique, certains ophtalmos décident de prescrire tout de même l’Avastin contre la DMLA en dehors de son indication officielle. L’Avastin prenant rapidement des parts de marché conséquentes (15 à 20%), Novartis décide alors d’employer les grands moyens : le labo lance « une campagne de communication globale et structurée tendant à jeter le discrédit sur l’Avastin en s’appuyant notamment sur une présentation sélective et biaisée des données scientifiques disponibles » dénonce l’Autorité de la Concurrence.
En clair, Novartis bidonne, inquiète inutilement les associations de patients, fait peur aux médecins en insistant sur leurs responsabilités légales et exagère les effets indésirables de l’Avastin. Et comme si ça ne suffisait pas, il s’allie avec Roche et Genentech pour « diffuser un discours alarmiste et trompeur auprès des pouvoirs publics français » et refuser de fournir des échantillons de leurs molécules pour retarder la mise en place d’études comparatives. Et ça marche ! Jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle molécule en 2013, ils parviennent à conserver un quasi-monopole pour le Lucentis.
Au-delà de ces trois labos, c’est toute l’industrie pharmaceutique qui risque de payer très cher cette magouille à grande échelle. Car même si l’Autorité de la Concurrence n’a pas apporté la preuve formelle d’une entente illégale, elle les a condamnés en vertu des « liens structurels et capitalistiques » qui les unissent. Plus besoin de « pacte » écrit, plus besoin de mails échangés, plus besoin de documents irréfutables : le simple fait d’un intérêt commun suffit à affirmer qu’il y a eu faute.
En d’autres termes, désormais n’importe quel accord de commercialisation entre deux firmes pharmaceutiques (achat de licence, participations croisées, co-développement d’une molécule etc.) pourrait servir de base d’élément à charge pour infliger une amende conséquente. Vu le nombre d’accords passés ces dernières années entre industriels, cela fait beaucoup d’entreprises potentiellement concernées …
On comprend mieux, dès lors, le communiqué officiel de Novartis se disant « très déçu », dénonçant « une interprétation erronée des faits » pour justifier qu’il va faire appel de cette décision. Connaissant et appréciant le directeur de la filiale française du labo, Frédéric Collet, sachant son souci d’améliorer la réputation du secteur, je veux croire qu’il s’agit d’une réaction imposée par le « global », c’est-à-dire le siège de la société suisse, et pas d’une initiative personnelle. Reste que ce même Frédéric Collet par ailleurs président du Leem, le « syndicat » des labos en France, se serait sûrement bien passé de ce genre de scandale.