Libérez les Ehpad !
Je ne comprends pas. J’ai beau tourner et retourner la chose dans ma tête, j’aimerais qu’on m’explique : pourquoi, alors que l’immense majorité des résidents d’Ehpad sont vaccinés contre le Covid, la plupart de ces établissements refusent-ils toujours de laisser venir les familles ? La présidente du syndicat des Ehpad le reconnait elle-même : aujourd’hui, 95% des résidents ont reçu une dose et 72% les deux doses nécessaires. En principe, ils sont donc protégés. A la limite, si problème il y a, il concerne plutôt le personnel chez qui les pourcentages sont respectivement de 70 et 40% .
Et pourtant, si j’en crois les témoignages recueillis dans Le Figaro d’hier, une bonne partie des maisons de retraite continuent de faire barrage. « Les visites en chambre ne sont autorisées qu’en toute fin de vie » et après chaque sortie, tous les résident sont soumis à « un isolement de sept jours », explique Marguerite, membre du collectif Ehpad familles 42. « Beaucoup de familles n’ont le droit qu’à des entrevues minutées sous surveillance, dans des salles communes sans aucune intimité et dans une ambiance de parloir de prison », ajoute un autre.
J’ai interrogé mon ami Benoit Péricard. Ancien directeur de CHU, défenseur de la première heure de la HAD (hospitalisation à domicile), président de l’association Le Moulin Vert qui gère 6 Ehpad en région parisienne, Benoit ne décolère pas contre « des attitudes inhumaines. Récemment, ma femme est allée voir sa mère avec de sa nièce. La jeune fille n’avait pas vu sa grand-mère depuis de longs mois. Touchée par son profond désespoir, elle l’a juste serrée dans ses bras – sans l’embrasser. Une « animatrice » chargée de surveiller les visites l’a vertement tancée. Et menacé : à la prochaine incartade, toute visite serait désormais interdite ! Je précise que cette grand-mère a 93 ans, qu’elle avait attrapé le Covid et qu’elle était guérie. »
Le ministère de la Santé ne cesse de le clamer : il faut « protéger sans isoler ». Sauf que, comme le fait remarquer à juste titre une femme dans Le Figaro, « dans les faits, c’est plutôt isoler sans protéger ». Lors de la première vague de Covid, nombre de familles ont témoigné de leur désarroi, de leur désespoir même devant les dictats des directeurs de maisons de retraite. Réclusion forcée des résidents, plateaux repas déposés devant la porte sans entrer dans la chambre, toilettes espacées, visites systématiquement interdites : ces mesures sanitaires étaient peut-être inévitables un certain temps, mais à quel prix ! Des personnes âgées laissées dans l’isolement total, avec tout ce que cela suppose de régression psychique et de peur de l’abandon. Et, pour les familles, des sentiments de culpabilité et d’impuissance insupportables.
Mais ce qui pouvait sembler nécessaire hier est aujourd’hui incompréhensible. Car enfin, à supposer même qu’il s’agisse de considérations prophylactiques, n’y-a-t-il vraiment aucune autre solution ? Pourquoi, par exemple, de pas demander aux visiteurs un test de dépistage négatif ? Pourquoi ne pas installer de dispositif protecteur, rideaux de plastique transparent ou autres ? Pourquoi ne pas favoriser des rencontres en plein air ? Et puis, soyons sérieux : si le danger vient de l’extérieur, en quoi les familles seraient-elles plus à risques que les soignants ?
Les directeurs d’Ehpad pourront toujours invoquer la crainte de nouveaux variants et le fameux principe de précaution – qui, en l’occurrence, protège l’administration, pas les plus faibles . La réalité est moins glorieuse. Car la réalité, c’est que certains ont peur d’être trainés devant les tribunaux. Comme s’ils étaient responsables de toutes les contaminations dans leur établissement, alors qu’ils sont soumis à une obligation de moyens, pas de résultats. La réalité, c’est que d’autres se réfugient derrière un hygiénisme qui confine à l’idéologie. Que d’autres encore n’ont tout simplement pas assez de personnel et que c’est plus commode d’interdire que d’embaucher. La réalité, enfin, c’est qu’il y a aussi des directeurs qui se conduisent comme de petits chefs jaloux de leurs prérogatives. Je ne prétends pas que tous les directeurs soient ainsi. Mais j’aimerais que tous mettent au premier rang de leurs préoccupations le bien-être de ceux qu’ils hébergent. Avant leur confort personnel.