Raoult privé de chloroquine !

Imaginez : Didier Raoult ne jure que par l’hydroxychloroquine, il en fait la promotion depuis des mois. Et voilà que Sanofi, le laboratoire qui vend ce médicament, refuse désormais de le fournir. Avec cette justification : il en va « l’intérêt et de la sécurité des patients ». Il faut sans doute avec mauvais esprit (comme moi) pour ricaner de la situation actuelle. Mais quand même, voilà qui mérite quelques explications…

Vendredi dernier 30 octobre, le laboratoire a donc envoyé une lettre pas piquée des vers au ministre de la Santé, Olivier Véran. Dans ce courrier, Sanofi annonce qu’il lui est dorénavant « impossible de donner suite aux commandes dans des quantités toujours importantes et ce, afin de préserver l’intérêt et la sécurité des patients ». Par souci de transparence (pour se couvrir ?), le laboratoire dresse d’ailleurs un petit historique de ses échanges précédents avec Didier Raoult.

Ainsi, dans un courrier daté du 26 août dernier, Sanofi invoque ses « obligations en termes de bon usage et de respect » de l’utilisation de la HCQ, et il rappelle que l’hydroxychloroquine « ne bénéfice à ce jour d’aucune AMM (autorisation de mise sur le marché), que ce soit en France ou ailleurs dans le monde, relative au traitement de la Covid 19 ». Il faut croire que cette mise en garde n’a pas suffi puisque, explique Sanofi dans son courrier, il reçoit toujours « de nombreuses et récurrentes sollicitations » et qu’il a été « recontacté en septembre au travers de commandes pour des quantités particulièrement élevées ».

Mais le meilleur est à venir… Au bas de la page 1 de sa lettre à Véran du 30 octobre, Sanofi écrit en effet ceci : « Même si l’IHU de Marseille et le Pr Raoult mettent en avant la liberté de prescription {…} celle-ci n’est pas absolue. La prescription d’un médicament hors AMM par un médecin s’entend en effet au cas par cas (ce n’est pas moi, c’est le labo qui souligne), doit être conforme à l’intérêt du patient et justifiée par les données acquises de la science. Ces conditions ne sont plus réunies dans la mesure où cette prescription se fait à large échelle, alors même que les données acquises de la science et l’intérêt pour les patients n’ont pas été démontrés. »

Bref, au lieu de pousser à la vente de son médicament, le laboratoire qui commercialise la HCQ met en avant ses obligations morales et juridiques. Au lieu de valider l’hypothèse du chercheur marseillais,  il se permet de donner une véritable leçon d’éthique à Didier Raoult !

Curieusement, Didier Raoult n’a pas, à ma connaissance, réagi ni condamné l’attitude du laboratoire (1). La raison ? Elle tient, peut-être, à une pièce jointe envoyée par Sanofi dans sa lettre à Olivier Véran, à savoir le courrier de l’Agence du Médicament à ce même Raoult le 21 octobre dernier.

Didier Raoult avait en effet demandé à l’Agence du Médicament de valider une RTU (recommandation d’utilisation temporaire) pour la HCQ. Cette validation lui aurait assuré un cadre officiel pour expérimenter ce médicament contre le Covid 19. Hélas pour lui, non seulement l’Agence n’a pas validé, mais son courrier du 21 octobre, très étayé (huit pages bien tassées !), constitue un réquisitoire implacable contre les hypothèses de Didier Raoult. Démonstration en quatre étapes.

Premier point, en préambule : l’Agence reproche à Raoult de faire sa demande « sans préciser les conditions d’utilisation envisagées (population cible, schéma thérapeutique envisagé, potentielle association avec l’Azithromycine) » et en s’appuyant sur « des publications dont toutes ne sont pas validées par un comité de lecture de revue ». En termes diplomatiques, cela revient à dire que cette demande est un travail d’amateur, voire de fumiste.

Le deuxième point reprend les recommandations du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) datées du 23 juillet dernier. Il porte sur les études dites « observationnelles » mises en avant par Raoult (c’est-à-dire des études où c’est le médecin qui choisit lui-même à qui il donne tel ou tel traitement, sans tirage au sort ni randomisation). Or, rappelle l’Agence du Médicament, sur les dizaines d’études publiées, seules six d’entre elles peuvent être considérées comme fiables, les autres comportent tellement de biais méthodologiques qu’il est impossible de conclure. Résultat : parmi ces six études, « une seule suggère un effet protecteur, deux un effet péjoratif, et trois une absence d’effet ».

Mieux (ou pire, selon le point de vue), dans sa demande Raoult cite une étude menée à Marseille sur 3737 patients et qui, à l’en croire, démontrerait l’efficacité de la HCQ. Sauf que l’étude en question est littéralement éreintée par les experts : les patients qui ont reçu la HCQ étaient « moins âgés, avec moins de maladies chroniques et moins d’anomalies au scanner pulmonaire » que les autres. Autrement dit, ils étaient moins malades. Pas étonnant, dès lors, que leur taux de mortalité soit plus faible. Faut-il rappeler, à ce propos, que l’IHU de Marseille n’a pas de service de réanimation et que les cas graves sont envoyés au CHU ?…

Le troisième point porte sur les essais randomisés (les seuls reconnus par la communauté scientifique) menés dans le monde avec de la HCQ, que ce soit en traitement ou en prophylaxie. Les résultats sont sans appel : quelles que soient les doses, quelle que soit la durée, quels que soient les patients, on constate au mieux, une « absence d’effet bénéfique », au pire, des « résultats non en faveur d’un effet bénéfique ».

Le quatrième – et dernier point – concerne les effets indésirables liés à la HCQ. Là encore, les conclusions de l’Agence du Médicament sont claires : ces effets « apparaissent être majorés en termes de fréquence et de gravité » par rapport à ses indications habituelles, notamment la polyarthrite rhumatoïde et le lupus., à savoir le traitement du lupus. Et les risques sont encore plus grands dans le domaine cardiaque, « a fortiori en cas d’association avec l’Azithromycine » – ce que, justement, recommande Didier Raoult.

Conclusion : Didier Raoult peut se présenter comme « l’un des meilleurs virologues au monde ». Il peut affirmer que ses résultats sont « spectaculaires ». Il peut même évoquer une conspiration internationale, insinuer que l’industrie pharmaceutique et les responsables politiques se sont ligués contre lui. Il peut prétendre avoir raison seul contre tous. Les faits sont là, têtus et implacables : l’hydroxychloroquine contre le Covid, ça ne marche pas.

(1) : entre temps, je suis tombé sur une vidéo de Raoult sur le sujet. Comme souvent, Didier Raoult multiplie inexactitudes, contre-vérités et demi-mensonges, comme il l’a fait à de nombreuses reprises, que ce soit en interview télé ou plus récemment devant les députés. Ainsi, à l’en croire, « dans les trois-quarts des pays du monde l’hydroxychloroquine est considéré comme efficace ». A l’en croire aussi, c’est lui qui a  » fini par demander que soit clarifiée la position de Sanofi vis-à-vis du ministère ».

Parmi les autres affirmations hallucinantes, celle-ci : la réponse -négative – de l’Agence du Médicament est « déraisonnable » sur le plan scientifique. La preuve : « elle ne m’a pas consulté ! » dit-il, comme si l’examen approfondi des documents envoyés par Raoult à l’Agence ne constituait pas, en soi, une forme de consultation. Raoult annonce donc qu’il va attaquer le directeur de l’Agence. J’attends avec gourmandise le motif de la plainte et les arguments juridiques qu’il entend déployer.

Enfin, concernant Sanofi, Raoult fait mine de s’interroger : « Qui ment ? Sanofi a-t-il reçu des consignes ? Si oui, c’est un refus de vente et Sanofi prend des risques ». Passons sur l’insinuation déplaisante d’un laboratoire pharmaceutique à la botte d’un gouvernement. Passons sur les menaces à peine voilées. Passons sur la notion de « refus de vente » qui n’a rien à voir avec le sujet.

Quant à l’affirmation selon laquelle « Sanofi n’a pas à savoir comment nous utilisons son médicament », elle prouve au moins une chose : Didier Raoult ne connait pas la législation ni le droit des médicaments. Car il ignore manifestement qu’un laboratoire est tenu de vérifier que la délivrance de ses molécules est conforme aux indications officielles, faute de quoi il est pénalement co-responsable avec les médecins prescripteurs en cas d’effets secondaires graves.