vaccin anti Covid : gare à l’emballement

« Un grand jour pour la science et l’humanité ». Le PDG de Pfizer, Albert Bourla, n’a pas caché son enthousiasme devant les résultats des premiers essais du vaccin contre le Covid 19, un vaccin que la firme pharmaceutique a développé avec son partenaire allemand BioNTech.

De fait, les résultats en question sont impressionnants : le vaccin serait efficace à « 90% » affirme Pfizer dans un communiqué publié hier. Les médias ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Les journaux nationaux (Le Parisien et le Figaro ) et régionaux (Sud Ouest, La Provence, La Dépêche…) en font fait leur Une du jour, et la majorité des matinales radio ont ouvert avec cette bonne nouvelle.

Pour réaliser cet essai clinique, Pfizer a d’abord recruté en juillet dernier plus de 43 000 participants aux Etats-Unis et en Allemagne. La moitié d’entre eux ont reçu une première dose de vaccin, les autres un placebo (substance neutre sans effet). Puis, trois semaines plus tard, une seconde dose destinée à booster les effets immunitaires de la première. Ni les « cobayes » ni les médecins ne savaient évidemment dans quel groupe ils étaient.

Les volontaires sont ensuite rentrés chez eux et le laboratoire a attendu… le temps qu’un certain nombre de contaminations par le virus du Covid 19 apparaissent – en l’occurrence, c’est le chiffre de 94 contaminations qui a été retenu car jugé suffisamment important pour obtenir des données statistiquement significatives.

Conclusion de Pfizer : le vaccin est efficace à 90%. Dit autrement, cela signifie qu’une personne vaccinée a dix fois moins de risque d’attraper le Covid 19 qu’une personne non vaccinée. Ou encore, que pas plus de 8 personnes malades sur les 94 avaient bénéficié du vaccin. Dans la mesure où les autorités sanitaires mondiales estiment qu’un taux de 50 à 60% d’efficacité serait satisfaisant, c’est effectivement une performance. « Un chiffre spectaculaire », a même réagi dans le New York Times Akiko Iwasaki, l’une des sommités internationales en matière de virologie.

Dans la course effrénée aux vaccins à laquelle se livrent les labos du monde entier en ce moment, Pfizer a incontestablement marqué des points- même si ses plus sérieux concurrents (AstraZeneca et Johnson & Johnson) sont également bien avancés. Il faut toutefois noter que ces résultats sont non seulement préliminaires mais, surtout, ils n’ont pas encore fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique renommée. En d’autres termes, il s’agit d’une déclaration de Pfizer, pas d’une information validée.

Guerre de communiqués ? Volonté de devancer son voisin ? Une chose est sûre en tout cas : Pfizer est un laboratoire sérieux, de renommée mondiale. Il n’a aucun intérêt stratégique à risquer sa réputation pour faire un coup médiatique qui lui reviendrait en pleine figure quelques temps plus tard.

Autres éléments qui incitent à l’optimisme, même relatif : le nombre très élevé des volontaires retenus, la rigueur méthodologique employée ainsi que le fait que ces résultats ont été vérifiés par une équipe de chercheurs indépendants. Tout porte donc à croire que c’est une vraie bonne nouvelle, si elle est confirmée.

Si elle l’est… Car le vaccin de Pfizer se heurte déjà à un double écueil : il est cher (30 à 40 dollars annoncés) et ses conditions de conservation sont délicates, puisqu’il doit être maintenu à une température de – 70 degrés. Autant dire que l’on n’est pas prêt de le proposer dans le cabinet d’un médecin de ville.

En outre, les essais ont été menés sur une population de « tout venant ». Rien ne permet d’affirmer qu’il sera aussi efficace, voire assez efficace chez les personnes fragiles (âgées, immunodéprimées, en insuffisance respiratoire graves ..). Sachant qu’il n’y en aura pas pour tout le monde, ce sont elles qui devraient bénéficier en priorité d’un éventuel vaccin si l’on veut avant tout réduire la mortalité globale.

Reste, aussi, une question non résolue à ce jour – et à laquelle il est impossible de répondre en raison du manque de recul dont on dispose : combien de temps durerait l’immunité d’un tel vaccin ? Dans un article récent du très sérieux Lancet, intitulé « Que pouvons-nous espérer de la première génération des vaccins anti-Covid ? », les auteurs faisaient preuve d’un certain pessimisme, redoutant que, quel que soit le vaccin retenu, on ne puisse aller au-delà de quelques mois. Et ils ajoutaient : « L’idée que l’immunité de la population induite par le vaccin permettra un retour à la « normalité pré-Covid pourrait être fondée sur des hypothèses illusoires ».

Enfin, et surtout, Pfizer a retenu un critère dont je m’étonne qu’il n’ait été relevé par personne. En effet, si j’ai bien lu le protocole présenté, seules les personnes « présentant des symptômes » ont été considérées comme contaminées par le laboratoire. Mais qu’en est-il des asymptomatiques ? Dans la lutte contre le Covid 19, la difficulté majeure contre sa propagation tient au caractère souvent silencieux de l’infection. Or, en matière de santé publique, l’intérêt d’une vaccination contre un virus infectieux (sida, Covid…) réside dans le fait qu’une protection individuelle bénéficie bénéficie à la collectivité tout entière. Un vaccin qui ne protégerait que soi, pas les autres, est-il encore un vaccin ? La réponse est au moins autant éthique que sanitaire.