Chloroquine : le grand gâchis des médias
Pas de culture scientifique. Pas de rigueur face à certains effets d’annonce tonitruants. Pas de recul dans les commentaires. Mais un goût immodéré pour les clashs et les oppositions binaires. Une propension aux discussions de bistrot. Et une fascination constante pour le Pr Raoult. Décidément, les médias en général et les chaines d’info continue en particulier n’ont pas montré leur meilleur visage dans leur traitement de l’épidémie du Covid 19.
Pourtant, l’opportunité était magnifique. Durant quasiment trois mois, le coronavirus a occupé l’actualité. Il l’a même envahie, phagocytant tout le reste – la guerre en Syrie, la famine au Soudan, le Brexit… Des commentaires sur les réseaux sociaux par millions, des heures de direct par milliers sur les radios et les télés, des centaines de Une dans les journaux, plus rien d’autre n’a existé. Ca a été le Covid à toutes les sauces, avec toutes les déclinaisons possibles : les enjeux philosophiques, les questions sociétales, les conséquences économiques, les répercussions sociales, les responsabilités politiques.
Les médias avaient donc une occasion unique, extraordinaire au sens premier du terme. Pour la première fois, ils avaient le temps et l’espace nécessaires pour faire de la pédagogie intelligente sur des sujets complexes de santé publique. Par exemple, pour préciser la différence entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Décrire ce qu’est un « bon » essai clinique. Expliquer en quoi les règles drastiques en usage (cohorte suffisante, groupe témoin, données accessibles, publications revues par les pairs etc.) sont essentielles pour faire avancer la connaissance.
Mais les médias avaient également la possibilité d’aller plus loin, d’aborder des questions plus délicates. En rappelant par exemple l’importance de la Chine dans le contrôle des matières premières indispensables dans la fabrication des médicaments. En racontant la course folle des chercheurs pour être le premier à publier une étude. En détaillant les rivalités entre équipes, entre institutions, entre pays. En évoquant les liens parfois troubles entre les laboratoires pharmaceutiques et certains médecins. Bref, en faisant un vrai travail d’investigation et en donnant aux lecteurs/auditeurs/téléspectateurs de quoi nourrir leurs réflexions sur des problématiques passionnantes bien que (ou parce que !) complexes.
Au lieu de cela, les chaines d’info continue ont choisi la voie de la facilité, celle de la simplification et de l’outrance. A travers un personnage emblématique qu’elles ont pour une part construit jour après jour : Didier Raoult. Raoult par ci, Raoult par là. Raoult en direct ou en différé. Sur YouTube ou en interview. Raoult et la chloroquine, Raoult et l’Azithromycine. Raoult et Macron, Raoult et Véran. Raoult et ses partisans (souvent), Raoult et ses opposants (moins souvent).
Pour avoir fait de la télé quand j’étais journaliste, je sais les contraintes particulières de ce média. Il faut d’abord ce qu’on appelle un « bon client ». Et sur ce plan là, Didier Raoult coche toutes les cases. Il a une gueule, une vraie, avec un côté mi christique mi gaulois. Il a un look, immédiatement indentifiable, avec sa barbe, ses cheveux longs et sa bague de tête de mort. Il a adopté une posture simple, voire simpliste et il n’en démord pas : j’ai raison, les autres ont tort. Et enfin, qualité idéale pour la télé, il a le sens des formules à l’emporte-pièce : « Le Covid ne fera pas plus de morts que les accidents de trottinette à Paris », « les élites, c’est nous », « Faites un sondage entre Véran et moi, on verra qui est le plus crédible » et j’en passe.
Interviewer Didier Raoult, c’est donc la garantie d’un succès d’audience. C’est l’assurance d’avoir de la reprise chez les confrères – et ça, les journalistes adorent. Sur les réseaux sociaux, le simple fait de mentionner son nom suffit pour attirer l’attention. Y compris si vous le critiquez car ses partisans relaient systématiquement vos propos pour mieux les dézinguer. Je le sais pour en avoir fait l’expérience avec ce post de blog à un plus d’un million de vu/lu qui m’a valu des tombereaux d’insultes.
Didier Raoult a donc tout pour lui : l’image (le look), le son (ses déclarations fracassantes), l’aura (« je suis une star mondiale » proclame-t-il) et l’audience qui va avec. Mais il a aussi ce petit truc en plus qui fait littéralement kiffer les médias : il les rudoie, il les allume, il les méprise ouvertement à l’instar d’un Mélenchon ou d’un Dupont-Aignan. Et, curieusement, ça les fascine. Mieux même : dans un élan paradoxal de masochisme ils en redemandent ! D’autant qu’ils n’ont pas grand-chose à lui opposer. La quasi-totalité des journalistes connaissant mal leur sujet, ils se font « balader » par plus compétent qu’eux.
Et quand ils espèrent s’en tirer avec une ou deux questions un peu incisives, Raoult leur fait la leçon. Avec toujours la même conclusion : « De toute façon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis, vous n’êtes pas à mon niveau ». Une façon à peine polie de dire « A la niche » et de jouer la connivence avec l’opinion publique qui, Raoult le sait, lui est largement acquise. Surtout quand il se pose en victime du « système » et qu’il entretient un conspirationnisme de plus en plus vivace chez les Français.
Mais autant je peux avoir une certaine indulgence quand je vois les difficultés à contrer Raoult pour qui ne possède pas de bagage scientifique, autant je suis consterné par le manque criant d’esprit critique chez les journalistes. Car enfin, comment laisser un Douste-Blazy pérorer sur les plateaux télé en s’abstenant de lui parler de ses erreurs passées, notamment sur la vaccination contre l’hépatite B ? Pourquoi accorder du temps d’’antenne à un spécialiste des maladies infectieuses (le Pr Perronne à Garches) qui prétend soigner la maladie de Lyme, « scandale sanitaire mondial », à coup de phytothérapie ?
Dans cette course éperdue au buzz médiatique et au grand n’importe quoi, le vainqueur toute catégories reste à ce jour C News. Accorder un quart d’heure d’entretien (je n’ose pas parler d’interview) à Luc Montagnier pour le laisser dire que le coronavirus a été fabriqué par un laboratoire chinois sans le contredire, c’est une faute professionnelle. Laisser la parole à un prix Nobel qui n’a jamais rien découvert (pas même le virus du sida isolé par Françoise Barré-Sinoussi et Jean-Claude Chermann), qui a vanté les mérites de la papaye verte contre le VIH et qui fait partie des anti-vax, c’est irresponsable. L’audience oui, mais pas à n’importe quel prix.
pomme
Bravo pour votre série d’analyses sur cet invraisemblable histoire de ce savant de Marseille, le charlot de Raoult, dégoulinant de bêtises, de suffisance, de vulgarité, d’obscénité. Il était déjà connu comme un solide escroc aux 2880 soi-disantes publications sur PubMed, appliquant la vieille technique du droit de cuissage, en rajoutant son nom sur des travaux qu’il n’a jamais fait.
Que l’INSERM, le CNRS, les ministères de la Santé et celui de la recherche notamment, l’Ordre des Médecins, tous parfaitement informés des dérives maladives de ce grotesque pet médicastre, l’aient laissé en vente libre, comme la bande de charlots de son soi-distant institut, en dit long sur l’incompétence et la veulerie de ces institutions.
Il a ridiculisé tout le monde par ses clowneries, et en particulier la médecine et la recherche française, qui n’en avaient sûrement pas besoin.
Une des leçons est le refus de publication dans les journaux scientifiques, et sans exception, de tout travail ou étude ayant été communiqués au préalable ou a posteriori dans tous les media sociaux quels qu’ils soient niveau YouTube, Twitter et autres.
Quel gâchis, comme vous le soulignez.