Nicotine contre Covid : c’était bidon !

Souvenez-vous. Il y a tout juste un an – le 24 avril précisément – l’AP-HP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) publie un communiqué de presse fracassant : la nicotine aurait un effet protecteur contre le Covid 19 ! Le soir même, l’info fait la Une des journaux télévisés. Le lendemain, la presse fait ses gros titres sur le thème « Et si les fumeurs étaient protégés contre ce mystérieux virus ? »

A l’époque, le fumeur que je suis encore se réjouit. Après tout, pour une fois que le tabac n’a pas mauvaise presse … A l‘époque aussi, le citoyen que je suis également s’inquiète : il ne manquerait plus que cela pousse certains à se (re)mettre à la cigarette. Ma pharmacienne de quartier, avec qui j’échange régulièrement, confirme d’ailleurs cette intuition : aujourd’hui me dit-elle, je vois débarquer des clients qui n’ont jamais fumé mais qui ont décidé d’essayer les patchs de nicotine.

A l’époque, l’hypothèse de travail a de quoi séduire. De fait, les médecins de l’AP constatent que, parmi leurs malades du Covid, les fumeurs semblent paradoxalement moins nombreux que dans la population générale : respectivement, 8,5% contre 25%. En collaboration avec des chercheurs du CNRS, ils avancent l’explication suivante (accrochez-vous, c’est un peu technique !) : il existe dans le cerveau un récepteur nicotinique spécifique de l’acétylcholine. Or, celle-ci jouerait un rôle dans le déclenchement de ce que les spécialistes appellent « l’orage cytokinique », cette hyper-inflammation de l’organisme qui se déclenche vers le 8ème jour après l’infection et qui entrainerait une surmortalité. Plus exactement, ce récepteur limiterait les risques de déclenchement de cet orage. D’où le rôle bénéfique de la nicotine.

La cohorte étudiée à l’AP HP étant faible numériquement, et « les biais méthodologiques nombreux », comme le précise le communiqué de l’AP, il reste maintenant à entériner cette hypothèse et, surtout, à valider que les fumeurs sont bel et bien protégés. Avant éventuellement, de prescrire aux non-fumeurs de la nicotine sous forme de patch, comme le propose l’AP dans un essai clinique lancé en novembre dernier et dont on attend toujours les conclusions.

Bingo ! En juillet 2020, une étude de grande ampleur vient confirmer la chose. Publiée par le très sérieux European Respiratory Journal, cette étude menée au Mexique sur près de 90 000 personnes montre effectivement un sur-risque chez les non-fumeurs par rapport aux fumeurs. Dès lors, l’industrie du tabac peut se frotter les mains : fumer, c’est (parfois) bon pour la santé.

Et c’est là que les choses deviennent intéressantes … En effet, ce travail a priori irréfutable vient tout juste d’être récusé par la même revue scientifique internationale. Pourquoi une telle « rétractation » (c’est le terme scientifique), qui n’intervient que très rarement ? Parce que deux des auteurs de l’étude avaient « oublié » de mentionner un petit détail.

En l’occurrence, le premier, José M. Mier, est payé tous les mois par l’industrie du tabac pour un rôle de « conseil » visant à minimiser les dangers de la cigarette. Quant au second, Konstantinos Poulas, c’est le principal responsable d’une ONG grecque appelée « NGO Nosmoke ». Or, celle-ci reçoit des subventions conséquentes de la « Fondation pour un monde sans fumée ». Une fondation qui, contrairement à ce qu’indique son nom, milite pour le tabac puisqu’elle est intégralement financée par Philip Morris à hauteur de … 80 millions de dollars par an !

Bref, ces deux auteurs ont ce que le European Respiratory Journal appelle pudiquement un « conflit d’intérêt potentiel ». Et le fait que cette étude ne semble pas relever d’une fraude scientifique ne change rien à l’affaire. Car ces deux chercheurs ayant affirmé dans l’article qu’ils n’entretenaient aucun lien avec l’industrie du tabac, ils ont bel et bien menti. Dès lors, leurs conclusions ne peuvent être que sujettes à caution.

Elles sont d’ailleurs d’autant plus douteuses qu’entre temps, de nouvelles publications sont venues infirmer leur travail. Ainsi, pas plus tard qu’en janvier de cette année, une étude portant sur 2,4 millions de personnes (excusez du peu !) et parue dans la revue British Medical Journal a montré exactement l’inverse : en réalité, les fumeurs ont deux fois plus de risques d’être hospitalisés que les non-fumeurs et, quand ils sont atteints du Covid, ils présentent 50% de risques supplémentaires de développer dix symptômes sévères. Autrement dit, le tabac semble augmenter à la fois le risque de Covid et la gravité de la maladie.

Peut-être ce tout dernier résultat sera-t-il demain réfuté par un autre – les études épidémiologiques observationnelles dépendent, on le sait, pour une part des critères retenus et de la population considérée. Peut-être. Peut-être pas. Mais une chose est sûre : même si les fabricants de cigarettes prétendent le contraire, en matière de santé publique, le tabac n’est pas et ne sera jamais bénéfique.