« Mystifications » : le document à (re)voir absolument

Comme beaucoup, je me régale en écoutant Patrick Cohen pourfendre, semaine après semaine, les théories de Didier Raoult et ses déclarations à l’emporte-pièce. Les fidèles de France Inter ou de « C’est à vous » sur France 5 le savent : depuis le début de l’épidémie de Covid, le journaliste joue un rôle de vigie important face aux multiples dérapages de tous ceux – médecins scientifiques ou politiques – qui se sont arrogés le rôle de « sachant » dans l’opinion publique. 

C’est pourquoi je vous engage vivement à regarder en replay sur France 5 « Mystifications », un documentaire formidable dont il est l’auteur.

 Avec rigueur et pédagogie, Patrick Cohen revient sur certains dérapages qu’a vécus le monde de la science. L’un deux, méconnu du grand public, mérite pourtant qu’on s’y arrête : c’est l’affaire de la ciclosporine et de celui qui la promeut, le Pr Even.

Rappel des fait : en 1985, trois chercheurs français affirment avoir découvert un médicament contre le sida. Avec le soutien de la ministre des Affaires Sociales, Georgina Dufoix, ils convoquent les télévisions du monde entier pour annoncer la bonne nouvelle. Patatras ! Quelques jours plus tard, un malade meurt, la communauté scientifique se prend à douter, la piste s’avère sans issue. Le soufflé retombe et la réputation de la recherche française en prend pour son grade.

Cela ne vous rappelle rien ? … Le parallèle est frappant, pour ne pas dire aveuglant avec le Covid et un certain Didier Raoult. Démonstration en quelques points – avec les liens Internet correspondants !

Un : Des médecins connus et reconnus par leurs pairs

Philippe Even, pneumologue, chef de service, est un cador dans sa spécialité. Auteur de plusieurs publications dans des revues de renommée mondiale, il a la « chance » d’accueillir au sein de son unité de nombreux malades du sida.

Didier Raoult est une sommité de la recherche internationale. En tant que directeur de l’IHU de Marseille, il bénéficie de moyens considérables – notamment des tests en quantité quasi illimitée grâce auxquels il attire tous les habitants de la région.

Deux :  Un contexte sanitaire anxiogène

En 1985, l’épidémie de sida fait des ravages. Aucun médicament n’est disponible, la peur gagne toute la population. 

En 2020, un virus inconnu appelé Covid 19 se répand dans le monde à toute vitesse. Il n’y a pas de traitement connu, c’est la panique générale.

« On est tellement en attente d’un petit espoir qu’on a envie d’y croire » : interrogé dans le documentaire sur l’état d’esprit en 1985, le constat du Pr Delfraissy reste cruellement d’actualité.

Trois : Des médecins qui s’affranchissent des règles essentielles en recherche clinique.

En 1985 « je n’allais pas perdre mon temps à demander une autorisation à telle ou telle structure. Cela aurait pris au moins un an » se justifie Philippe Even face à Patrick Cohen qui l’interroge dans son documentaire.

En avril 2020, Didier Raoult demande l’accord du Comité de protection des personnes (CPP) de l’hôpital pour mener une étude. Refus de ce dernier en raison du manque de précisions indispensables. Raoult passe outre cette réponse, pourtant nécessaire sur le plan légal.

Quatre : un nombre ridiculement faible de patients.

Deux pour la ciclosporine, 19 dans la première étude publiée par Didier Raoult !

Cinq : une mentalité de cow-boy

Philippe Even est « un mandarin qui se veut à contre-courant de la pensée orthodoxe scientifique », note à juste titre Gilles Pialloux dans le documentaire de Patrick Cohen.

« Le consensus, c’est Pétain » ose déclarer Raoult dans une interview à Paris Match

Six : un refus obstiné de toute autocritique

Even, dans le documentaire de Cohen : « Je ne regrette rien, je ferais pareil aujourd’hui. Mieux vaut un faux espoir que pas d’espoir du tout »

Raoult, devant les députés : « L’histoire me donnera raison »

Sept : le politique s’en mêle

En 1985, Georgina Dufoix, fervente défenseuse de l’homéopathie et autres traitement alternatifs, annonce la conférence de presse sur la ciclosporine dans un communiqué à l’AFP sans même attendre la validation des autorités de tutelle des chercheurs.

En avril 2020, Emmanuel Macron se rend à l’IHU de Marseille, accordant qu’il le veuille ou non une forme de légitimité à Didier Raoult.

Huit : une absence totale de sanctions

Philippe Even s’en vante dans le documentaire de Cohen : « cette affaire n’a pas nui à ma carrière ». Et le pneumologue d’énumérer ses titres de gloire ultérieurs : membre du conseil d’administration de l’APHP, directeur de l’Agence de sécurité du médicament, doyen de la prestigieuse faculté de médecine de Necker à Paris.

Didier Raoult, lui aussi, est à la retraite. Il n’a connu ni blâme, ni avertissement, ni suspension. Et pas non plus la moindre mise en examen.

Plus de 35 ans se sont écoulés entre ces deux affaires, et pourtant l’histoire se répète à l’identique. A un détail près : avec Internet et les réseaux sociaux, la polémique prend une tout autre ampleur. Le complotisme s’en nourrit et jamais la défiance envers la science n’a été aussi grande, y compris chez les jeunes. Décidément, Didier Raoult aura fait beaucoup de mal, et pas seulement aux malades du Covid.