Fascinant chromosome Y
C’est fait ! Il aura fallu trois ans de plus que pour le X mais le chromosome Y est enfin décrypté. Et les résultats de son séquençage complet, publiés récemment dans la très sérieuse revue Nature sont décoiffants.
Pourquoi un tel délai ? Parce que le chromosome Y cache bien son jeu : dans de nombreux cas, les séquences ADN qui le caractérisent se présentent sous la forme d’un palindrome – terme qui, je le rappelle, désigne des mots qui se lisent dans les deux sens tels que bob, kayak ou encore ressasser, le plus long de la langue française.
Un peu comme si, dans un puzzle, les pièces étaient assemblées à l’envers.
Il a donc fallu utiliser des logiciels spécifiques avec de nouvelles méthodes de lecture pour déchiffrer dans le bon ordre de longs fragments des fameuses quatre lettres A, C, G et T.
Cela dit le chromosome Y n’était pas jusqu’alors un total inconnu. On savait déjà que c’est lui qui fonde l’identité masculine, avec ce binôme différencié XY contrairement au XX de la gent féminine. On savait aussi qu’il est petit – plus précisément, trois fois plus court que le chromosome X.
On savait même la date de son apparition dans le mécanisme de la détermination du sexe : c’est arrivé il y a environ 170 millions d’années ! Vous n’étiez pas là pour en témoigner me direz-vous. Ce à quoi je vous répondrai que certes, mais dans l’évolution des mammifères, il est démontré que les « placentaires » (rongeurs, félins, humains …) sont apparus entre les monotrèmes (ornithorynques) et les marsupiaux (kangourous), et que le mécanisme de détermination des premiers est très spécifique et fort différent des deux autres. Sachant que les monotrèmes remontent à 180 millions d’années et les marsupiaux à 160 millions, les chromosomes des placentaires sont donc apparus durant ces 20 millions d’années.
Dit autrement, « notre » chromosome Y à nous les hommes nous place entre l’ornithorynque et le kangourou. Pas de quoi pavoiser j’en conviens.
Pas glorieux non plus, et même franchement inquiétant : « notre » chromosome Y a perdu 90% de son patrimoine génétique au cours du temps ! Pourquoi ? Précisément à cause de ses séquences en palindrome, ce qui a limité les possibilités de recombinaison – et, par voie de conséquence, réduit progressivement sa taille.
Mais il y a encore plus étonnant dans la publication de Nature. Les scientifiques qui ont rédigé l’article ont eu l’idée de d’analyser et de comparer le chromosome Y de 43 individus sans lien génétique connu, issus de 21 régions géographiques et de 21 ethnies différentes.
Le résultat est inattendu, pour ne pas dire incroyable : la taille de leur chromosome Y peut varier du simple au double, le nombre de copies d’un gène aussi (de 19 à 40), jusqu’au nombre de lettres de l’ADN : entre 45 millions et 85 millions selon les cas !
Résumons : le chromosome Y est plus petit, plus fragile, moins varié et moins « cohérent » que le chromosome X. A ce stade de la discussion, une question s’impose : quelle est l’espérance de vie du chromosome Y ? Après tout, il existe sur la terre au moins quatre espèces de rongeurs comme le campagnol taupe du Caucase où le mâle n’a pas besoin d’un chromosome Y pour être fertile puisqu’il est pourvu de deux chromosomes X. Décidément, le poète a toujours raison et Aragon avait vu juste : « La femme est l’avenir de l’homme ».