Les médecins sont-ils si mal payés ?

Je ne vais sans doute pas me faire des amis parmi les médecins avec ce post de blog, mais tant pis. Comme disait avec humour Rémi, un ancien ami journaliste, « trop c’est trop, la vache à lait a mal aux pis ! »

De quoi s’agit-il ? De la demande posée par plusieurs syndicats de médecins dans le cadre des négociations en cours avec l’Assurance Maladie. A savoir : doubler le tarif de consultation qui passerait ainsi à 50 euros, contre 25 aujourd’hui.

Avec cet argument mainte fois entendu : « nous sommes le seul pays au monde où un généraliste est moins payé qu’un coiffeur ». Sauf que, selon les chiffres officiels, le temps de l’acte n’est pas le même : 18 minutes pour un médecin, 30 pour un coiffeur. Le chiffre d’affaire annuel moyen non plus : plus de 150 000 euros pour l’un, 76 000 € pour l’autre.

Mais, surtout, ces 25 euros ne disent pas tout de la rémunération d’un médecin. Et l’Assurance Maladie (CNAM) ne se prive pas de le rappeler dans un récent communiqué : en réalité, on est plus proche de 35 euros, voire davantage.

Explications : il y a d’abord la prise en charge par la CNAM d’« une part importante » des cotisations sociales, en particulier les 2/3 des cotisations vieillesse pour les médecins en secteur 1. Il y a aussi – ces derniers se gardent bien d’en parler – toutes les indemnisations forfaitaires dont ils bénéficient. 

Prenons le forfait « médecin traitant » : par an, un professionnel touche entre 6 euros (pour un enfant) et 70 euros (pour un patient de plus de 80 ans en affection de longue durée). Sachant qu’un généraliste compte en moyenne 1 000 patients et que certains dépassent les 2 500, le forfait monte vite et peut atteindre parfois les 40 000 euros annuels.

Prenons la ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique) : plafonnée à 6580€ par an, elle est versée dès lors que le médecin déclare respecter un certain nombre d’indicateurs – sur l’honneur, et sans contrôle. Par exemple, effectuer un dépistage du cancer du col de l’utérus. Ou encore, proposer à un diabétique un fond d’œil régulier. 

Bref, et pour le dire brutalement, on « surpaye » des médecins pour faire ce qui devrait être, en fin de compte, leur cœur de métier. Résultat : l’ensemble de ces rémunérations annexes représente en moyenne, au total, 25 000 euros supplémentaires par an et par médecin. 

A cela, les professionnels répondent en dénonçant le montant des charges trop élevé, qui absorberait jusqu’à 60% du total pour les généralistes disposant d’un secrétariat physique, affirme Luc Dequesnel, le président de la CSMF. Celui d’un autre syndicat, l’UFML-S, avance même le chiffre de « 9 à 11 euros » seulement par consultation après déduction des frais.

Oui mais dans les faits un généraliste perçoit – charges déduites – un revenu net mensuel entre 4 300€ (début de carrière) et 6 500€ (fin de carrière). Soit trois fois le salaire moyen. Ce qui place le généraliste français largement au-dessus de la moyenne européenne puisque seule l’Allemagne fait mieux (données OCDE).

A lire les commentaires sur le site Egora, il faut croire que ça ne suffit pas. Les médecins sont effet vent debout contre la volonté de la CNAM de demander des contreparties à une éventuelle augmentation de la consultation. « Rémunérations forfaitaires piège à cons » pour l’un. « Ils (la CNAM) veulent la guerre, ils l’auront » promet l’autre. Jusqu’au si délicat « Arrêtez de vous faire rectumiser, déconventionnez-vous ! »

Aucune limite, aucune pudeur. Comme ce généraliste qui ose balancer sur France Inter cette phrase reprise par Olivier Robichon dans son excellent journal Prescription Santé : « il y a quelques jours, j’ai vu une patiente à qui je devais annoncer un cancer. Pendant un moment, j’ai oublié ma patiente pour penser à comment j’allais pouvoir coter mon acte pour optimiser le rapport financier de la consultation ».

Ces réactions corporatistes donnent une image désastreuse des médecins. Le partage des tâches avec d’autres professionnels ? Ils n’en veulent pas – alors que 90% des Français sont favorables à ce qu’un pharmacien puisse renouveler certaines ordonnances, ou qu’une infirmière puisse faire une évaluation clinique d’un patient. En revanche, doubler le prix d’une consultation leur convient. Et tant pis si cela coûterait 7 milliards d’euros par an à la collectivité.

C’est désolant. Car les syndicats ne représentent que 10% de la profession. Car ils ne parlent que de fric. Car d’autres médecins, eux – et ils sont nombreux – se préoccupent avant tout de leurs patients et de la qualité des soins. Mais ceux-là, on ne les entend pas. C’est désolant.