Santé mentale : jeunes et pauvres, la double peine

Que le Covid ait eu des répercussions sur le moral des Français, personne n’en doutait vraiment. Mais que 80% d’entre eux affirment que les problèmes de santé mentale se sont aggravés dans le pays depuis l’épidémie montre l’ampleur du phénomène. 

Ce chiffre est issu d’un sondage rendu public lors un colloque organisé aujourd’hui même (1) par la Fondation Pileje dont le sous-titre « Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? » dit bien l’urgence de ce sujet déclaré « grande cause nationale » par Michel Barnier pour l’année 2025.

Encore faut-il s’entendre sur la notion de « problème de santé mentale ». En l’occurrence, les exemples cités dans le sondage sont très concrets : dépression, burn-out, pensées suicidaires. Interrogés sur leur expérience personnelle, près d’un Français sur deux (40%) déclarent avoir connu au moins un de ces épisodes au cours de leur vie. Et parmi eux, plus de la moitié (28%) l’ont vécu pendant ou après le Covid. 

Quelles sont les personnes les plus concernées ? Sur le plan professionnel, les soignants arrivent incontestablement en première position (57%, 17 points de plus que la moyenne nationale), ce que je relevais dans un post récent à lire ici en pointant tous les facteurs de risques auxquels ils sont confrontés – horaires, conditions de travail etc.

Mais le plus intéressant concerne l’âge car les réponses sont contre-intuitives. La logique voudrait en effet que plus on vieillisse et plus on ait de probabilités d’avoir connu dans sa vie des problèmes de santé mentale. Or c’est exactement le contraire : ces événements négatifs (dépression, pensées suicidaires etc.) sont mentionnés par 55% des 18-24 ans contre 51% des 25-34 ans, 41% des 50-64 ans et 31% après 65 ans.

Autre constat frappant, on retrouve la même corrélation strictement statistique quand on prend en compte les revenus. Concrètement, la courbe ne cesse de baisser à mesure que ces revenus augmentent :  52% chez les très modestes (revenu inférieur à 1 500 euros nets par mois, + 12 points par rapport à la moyenne) mais 32% seulement chez les très aisés (plus de 3 500 euros par mois, moins 8 points par rapport à la moyenne). Et entre les deux, on trouve les ménages modestes (41%) et les ménages aisés (36%).

Résumons : plus on est jeunes, plus on est pauvres, et plus la santé mentale est spontanément qualifiée de « mauvaise ». Avec des écarts considérables autour d’une moyenne nationale de 15%. Les jeunes sont trois fois plus nombreux que les vieux à avoir une mauvaise santé mentale (21% contre 7%). Les pauvres sont deux fois et demie plus nombreux que les riches à avoir une mauvaise santé mentale (26% contre 10%).

On peut vraiment parler de double peine pour les uns et les autres : peu d’argent, peu de solidarité intergénérationnelle (lire à ce propos un post à consulter ici), avec dans les deux cas, des perspectives d’avenir bien sombres. Ainsi, quand on les interroge sur les raisons de leur mauvaise santé mentale, la moitié des personnes évoquent le travail et l’équilibre avec la vie privée. Mais il y a également « la situation dans le monde », mentionnée par près de 30% d’entre eux. Sans doute faut-il y voir l’expression de ce que les sociologues appellent « l’éco-anxiété ». Une éco-anxiété qui provoque, chez les jeunes en particulier, des bouffées d’angoisse irrépressibles susceptibles d’alimenter un sentiment de désespoir.

Enfin, on ne peut passer sous silence la solitude qui pèse sur tous ces Français qui sont confrontés à des problèmes de santé mentale. En parler ?  Pas simple … seule la moitié ont pu les évoquer avec leur entourage proche (amis ou famille). Les conséquences dans la vie quotidienne sont pourtant réelles : les deux-tiers d’entre eux se disent « fatigués », la moitié ne dort pas bien, un tiers se montre parfois colérique ou apathique et un quart mange mal.

 Plus grave encore : une personne sur cinq n’en parle jamais. A personne.  Décidément, la santé mentale demeure un sujet tabou en France. Si en faire une « grande cause nationale » en 2025 permettait de libérer la parole ne serait-ce que chez une partie d’entre eux, ce serait déjà une grande victoire.

 Sondage réalisé par Odoxa pour la Fondation Pileje auprès de 2 100 personnes représentatives interrogées en octobre 2024