Médecins « experts » : un palmarès pour quoi faire ?
« Un palmarès exclusif en son genre ». « Une enquête unique qui a mobilisé trois journalistes et un informaticien durant dix-huit mois » pour laquelle « il a fallu partir de zéro » et intégrer « 6,2 millions d’études » sur cinq ans et « 31 140 travaux scientifiques » récents.
Quand Le Point se lance dans une enquête, c’est du sérieux ! Quatre pages d’introduction, deux d’interviews, vingt de tableaux et trois de méthodologie. N’en jetez plus …
La méthodologie justement : elle repose sur cinq critères, à savoir :
1 La base de données PudMed qui répertorie la quasi-totalité des publications de recherche en médecine et en biologie.
2 La base de données de professionnels de santé français dont 312 000 médecins
3 L’indicateur de notoriété des revues scientifiques
4 L’index de notoriété de l’auteur d’une publication
5 A quoi il faut ajouter un « score Le point », « un algorithme élaboré par nos soins » (sic !) et qui s’inspire d’une base de données, officielle celle-là, appelée SIGAPS (pour « système d’interrogation, de gestion et d’analyses des publications scientifiques »).
Pour les non-spécialistes, je rappelle que le SIGAPS est un index établi par le ministère de la Santé fondé entre autres sur la qualité de la revue, sa réputation et la place des signataires de l’article. Vous trouvez ça technique ? Moi aussi, mais sachez que le SIGAPS est essentiel en ce qu’il conditionne les subventions publiques attribuées aux chercheurs en France. Concrètement, plus on a une bonne note, plus on a de sous !
Bref, rien à redire a priori sur le sérieux du palmarès en question. D’autant que Le Point a une réelle expérience en la matière puisque depuis 25 ans, il publie chaque année son « Palmarès des hôpitaux », un numéro qui constitue l’une des meilleures sinon la meilleure vente du journal.
Et c’est bien là l’ambiguïté originelle : « Au Point, nous sommes convaincus que la médecine de qualité doit être promue, et surtout accessible à tous » est-il proclamé dès les premières lignes du dossier. L’honnêteté intellectuelle aurait pu leur faire écrire que, « Au Point, on est bien embêtés car cette année la CNIL nous a refusé l’accès aux document nécessaires pour établir notre palmarès habituel. Il a donc bien fallu que l’on trouve autre chose » …
Deuxième ambiguïté : le SIGAPS dont s’inspire Le Point comporte, comme tout indicateur, des biais que le journal se garde bien de préciser. S’il privilégie à juste titre les revues prestigieuses, le SIGAPS inclut une dimension quantitative qui fausse en partie les résultats (cf. Didier Raoult, écarté du classement mais pour d’autres raisons !). Et, surtout, il ne dit rien de la qualité clinique de l’étude publiée.
Troisième ambiguïté, la plus problématique sans doute : Le Point met en avant des médecins « experts » dans son titre de Une, mais il fait régulièrement l’amalgame entre « experts » et « meilleurs » – comme lorsqu’il écrit que « De plus en plus de Français sont {…} à la recherche des meilleurs spécialistes ».
Or, interrogé par Le Point, Fabrice Bartelli, le directeur général de l’Institut Gustave Roussy, l’un des meilleurs centres mondiaux de prise en charge du cancer, le reconnait volontiers : « On peut être un bon médecin sans avoir d’activité de publication ». Tout comme on peut être un excellent chercheur et un médecin désastreux.
Pour ne prendre qu’un exemple, le PR Émile Daraï est un gynécologue de renom à l’hôpital Tenon à Paris. Reconnu par ses pairs, auteur d’innombrables publications, il fait pourtant l’objet de plus de 30 plaintes pour « viol » de la part de certaines de ses patientes. Et il consulte toujours …
Car être un bon médecin c’est quoi en définitive ? C’est évidemment se former régulièrement et poser le bon diagnostic. Mais c’est aussi montrer de l’empathie, faire preuve d’humanité. Bref, c’est être à l’écoute de son malade et convenir, ensemble, de ce qui est bon pour lui.
Et cela, ce colloque singulier, aucun palmarès ne pourra jamais en rendre compte.