Doliprane mon amour
Quels sont les médicaments les plus chers en France ? Les plus consommés ? Les plus remboursés ? A ces questions, la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) vient de répondre dans un rapport de 26 pages passionnant, bourré d’infos et publié à l’occasion du lancement de sa campagne de sensibilisation du grand public intitulée « le bon traitement, c’est pas forcément un médicament ». Votre serviteur s’en plongé dedans et vous en restitue la substantifique moelle.
25 milliards d’euros remboursés chaque année
En 2023, la CNAM a donc consacré plus de 25 milliards d’euros pour rembourser les Français de leurs dépenses de médicaments. Concrètement, cela représente 12% de ses dépenses totales et près de 30% des dépenses de soins de ville, avec une augmentation très nette entre 2021 et 2023 par rapport aux années 2017-2020.
Pourquoi cette hausse quasi structurelle ? Les experts de la CNAM mettent en avant trois explications : d’abord, le taux de remboursement moyen (90,7% en 2023 contre 87,2% en 2017) augmente d’année en année du fait de l’accroissement des affections de longue durée prises en charge à 100%. Ensuite, les prescriptions hospitalières délivrées en pharmacie de ville explosent littéralement : elles passent de 32% à 45% du total entre 2017 et 2023. Enfin, les médicaments innovants, donc les plus chers, sont de plus en plus prescrits : 26% du total contre 20% en 2017, soit une dépense de plus 7 milliards en 2022.
Quels sont les médicaments les plus coûteux en France ?
Le champion toutes catégories est un anti-coagulant oral, son nom scientifique est l’apixaban (je ne vous donnerai pas son nom commercial) et il est utilisé en prévention des thromboses. Coût total : 755 millions d’euros par an, soit 476 euros par patient pour un médicament dont la CNAM fait remarquer au passage qu’il n’a « pourtant pas démontré de caractère innovant ».
Vous trouvez ça excessif ? Sachez que le 2ème sur la liste, indiqué pour des maladies cardiaques rares, coûte presque aussi cher au total (743 millions d’euros) mais avec un coût par patient de 66 671 euros (moyenne d’âge 82,3 ans). Coût individuel pourtant explosé par le 9ème sur la liste, l’emicizumab, un antihémorragique dont le remboursement frôle les 270 000 euros par patient et par an.
Ces chiffres donneront peut-être le vertige à certains. Dans les deux derniers exemples cités ils montrent en tout cas une chose : quand un médicament est efficace et réellement innovant (et c’est en l’occurrence le cas), en France le prix d’un traitement n’est pas (pas encore ?) un frein à son bon usage.
Doliprane mon amour !
Avec 265 millions d’euros par an de remboursement par la CNAM, le Doliprane n’est « que » si j’ose dire en 11ème position quand on regarde les montants. En revanche, si on prend comme critère le volume de médicaments consommés …
Chaque année, il se vend en France plus de 300 millions de boites de Doliprane. Oui, vous avez bien lu : 308 millions de boites exactement. Plus de 80 000 boites par jour samedis et dimanches compris. Soit en moyenne 8,5 boites par an et par consommateur. Soit également 36,5 millions de Français, d’âge moyen 45 ans.
En deuxième position, toujours en volume, on trouve un autre paracétamol, le Dafalgan. Mais loin, très loin derrière : 71,6 millions de boites, 62,8 millions d’euros pour 6,8 millions de patients. Et en 4ème position, entre le Levothyrox (pour la thyroïde) et un dérivé de l’aspirine comme antithrombotique, un autre paracétamol également, le Dafalgan (environ 24 millions de boites pour 20 millions d’euros).
Ainsi, à lui, le paracétamol représente près de la moitié des 20 premiers médicaments en volume, dont 70% pour le seul Doliprane. Pour rappel, cette classe de médicaments présente pourtant de nombreux effets indésirables, dont certains très graves, en particulier pour le foie.
Qui sont les Français les plus gros consommateurs ?
Sans surprise, plus on avance en âge et plus on consomme de médicaments : une boite en moyenne par an avant 18 ans, 3,5 boites entre 45 et 64 ans, 6 boites entre 65 et 79 ans, 10 boites au-delà de 80 ans.
Sans surprise non plus, le montant des remboursements par la CNAM suit la même pente, avec respectivement 131 euros, 430 euros, 785 euros et 1075 euros par an selon les classes d’âge mentionnées juste avant. Soit un rapport de 1 à 8 entre 18 ans et 80 ans et plus.
Côté antibiotiques, la tendance est à la baisse tendancielle depuis 2012. Mais il reste encore bien des progrès à faire : en 2022, la France est au 5ème rang européen, avec un utilisation de 30% supérieure à la moyenne.
Enfin, la CNAM a eu la bonne idée de demander à BVA une enquête sur le comportement des Français au cours d’une consultation chez un généraliste. Près de la moitié des 2 000 personnes interrogées reconnaissent attendre « en priorité » une prescription de médicaments à l’issue de cette consultation. Ce qui n’empêche pas 90% d’entre eux d’affirmer qu’ils seraient satisfaits de ressortir sans ordonnance, dès lors qu’on leur en expliquerait mes motifs !
Interrogés de leur côté, les généralistes donnent des réponses « légèrement » différentes – on s’en doutait un peu cela dit. La moitié d’entre eux déclarent avoir ressenti « parfois » une forme de pression de la part de leurs patients ; et pour un tiers c’est même le cas « souvent ».
Alors à qui la faute ? Aux Français qui l’exigent ou qui pour le moins l’espèrent ? Aux médecins qui ont du mal à refuser, ou qui n’ont pas le temps suffisant pour s’en expliquer ? Sûrement un peu des deux. En tout cas, le fait est là : quatre Français sur dix prennent au moins un médicament par jour. Mais en pratique, comme je me mentionnais dans un autre post à lire ici, seuls 30% respectent scrupuleusement les posologies et les durées indiquées. La CNAM va devoir renouveler encore et encore ses campagnes de sensibilisation …