Les Français accros aux médicaments

J’ai beau avoir les chiffres sous les yeux, je n’arrive toujours pas à le croire : 57% des Français consomment au moins un médicament tous les jours ! C’est la conclusion d’une étude réalisée par Opinion Way auprès de 4043 personnes à l’occasion du salon PharmagoraPlus qui aura lieu les 11 et 12 mars à Paris.

« Oui, mais il y a un biais, c’est la surconsommation des seniors » me direz-vous. Sauf que… Même chez les plus jeunes (les 18-24 ans comme les 25-34 ans), 25% sont concernés. « Oui mais, il y a un biais, ce sont toutes les femmes qui prennent la pilule » ajouterez-vous – vous êtes décidément taquins aujourd’hui. Sauf que… D’abord, les hommes représentent 45% des répondants ; et à ceux-là, il faut ajouter les femmes qui veulent un enfant, celles qui n’ont aucun partenaire, celles qui ont un partenaire mais qui n’utilisent pas de moyen de contraception (10%), et celles qui utilisent un autre moyen que la pilule (30% des moins de 35 ans). Cela fait quand même du monde !

Qui peuvent donc bien être ces hommes et femmes (sans pilule), jeunes, en principe en bonne santé et qui, pourtant, avalent quotidiennement un médicament ? Que prennent-ils ? De même, qui sont les 40% des 35-49 ans, eux aussi dans ce cas-là ? Et plus l’on avance en âge, plus les chiffres augmentent : 69% des 50-64 ans et… 90% chez les 60 ans et plus !

« Bouffeurs de gélule »

La réponse à ces questions se trouve, je le sais, parmi les accros aux somnifères et aux anxiolytiques ; parmi les malades chroniques (diabète, asthme, sida ou autres) ; parmi ceux qui risquent de l’être et qui ont besoin d’un traitement préventif quotidien (hypertension, hypercholestérolémie…). Mais cela ne suffit sûrement pas à expliquer ces chiffres. Car je sais aussi qu’en matière de prévention, une hygiène de vie correcte et/ou une alimentation équilibrée pourrait, dans nombre de cas, éviter d’en arriver là. Mieux encore – ou pire – je rappelle qu’en principe les médicaments en question ne sont prescrits qu’aux personnes en échec thérapeutique, c’est-à-dire celles qui ont justement modifié leur mode de vie et chez qui ça n’a pas suffi.

Il y a donc, sans doute possible, des « bouffeurs de gélule » quotidiens qui pourraient s’en passer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au sein de cette population, on compte 32% de bons « observants » (ceux qui respectent les indications de leur médecin), mais 53% de « non observants mineurs » et 15% de « non observants » du tout ! Au passage, vu le faible pourcentage de bons observants chez les 18-24 ans (18% seulement), j’espère qu’il ne s’agit pas de la pilule…

Résumons : plus d’un Français sur deux prend un médicament quotidiennement, mais parmi eux seul un sur trois le fait réellement et correctement. Difficile à avaler… Difficile à justifier ? Beaucoup de choses ont déjà été écrites pour expliquer ce particularisme franco-français, peut-être unique au monde : le poids des lobbies pharmaceutiques, l’avance sur frais qui rend la dépense indolore, le goût des médecins pour les longues ordonnances – ces mêmes médecins qui, eux, accusent leurs patients d’être demandeurs !

Le goût du suppo !

Tous ces arguments sont exacts, je ne les conteste pas. Mais j’en ajouterais un autre, plus sociologique celui-là : dans la plupart des autres pays européens, l’industrie de la pharma vient historiquement de l’industrie de la chimie – c’est le cas de l’Allemagne, de la Suisse, de la Grande-Bretagne notamment. En France en revanche, les premiers industriels, comme Pierre Fabre, sont issus des apothicaires. En effet, les plus jeunes l’ignorent sans doute, mais jusque dans les années 70 on commandait dans les pharmacies des « préparations magistrales » : une sorte de poudre de perlimpinpin fabriquée sur commande, sur mesure et avec des composés un peu mystérieux.

De là, peut-être, le rapport un peu « magique » des Français aux médicaments – jusque dans leur goût pour les suppositoires, qui fascine le reste du monde ! Des exemples ? En France, on ne parle pas de Volatarène LP (pardon pour la pub), mais du « comprimé blanc en losange » – pas de Viagra mais de « petite pilule bleue ».  On prend la fin d’un traitement d’antibiotiques deux mois plus tard, quand on se sent fatigué. On adapte soi-même et sans en parler à son médecin les posologies. On achète mais si entre temps ça va mieux, on garde dans son armoire pour « au cas où ». Et quand je dis « On », c’est nous tous. Y compris moi, parfois !