Urgences : on ferme !


Il y a encore quelques semaines, la nouvelle aurait fait l’ouverture du 20 heures et la Une des journaux : depuis mercredi dernier, l’un des plus gros hôpitaux de France, le CHU de Bordeaux, a décidé de fermer son service d’urgences entre 20 heures et 8 heures du matin. La raison ? Un seul médecin de disponible pour assurer la permanence de nuit, alors qu’il en faudrait trois ou quatre. La pression est telle que le chef de service est en arrêt maladie, son adjoint également et que la moitié de l’équipe envisage d’aller travailler ailleurs à la rentrée.
L’annonce par le directeur de l’établissement a fait l’effet d’une bombe. Il est vrai que Yan Bubien n’est pas n’importe qui : nommé en octobre 2019, il était auparavant directeur de cabinet adjoint au ministère de la Santé (2017-2019 et 2009-2011) avec entre les deux un « intérim » comme directeur du CHU d’Angers.
Autant dire qu’il sait parfaitement la dimension politique de sa décision qui constitue, sans nul doute, un message adressé aux pouvoirs publics avant un été qui s’annonce comme celui de tous les dangers. Car Bordeaux n’est pas un cas isolé, loin de là : Sarlat, Orthez, Oloron, Marmande … Au total, pas moins de « 80 services d’urgence sur le territoire national sont partiellement ou complètement fermés » selon le collectif inter-hôpitaux.
Concrètement, dans toutes ces villes il faut donc désormais appeler au préalable le 15 pour être orienté par un médecin. Et pas la peine de se déplacer sinon : les portes sont fermées ! Les récalcitrants ne trouveront qu’un « téléphone relié au centre 15 accessible devant l’accès aux urgences », précise l’ARS (Agence régionale de santé).
Le premier hôpital à procéder ainsi a été celui d’Orléans. La raison ? Fin mars, une patiente décède durant la nuit sur un brancard. Le lendemain, l’équipe de jour déclenche un « droit de retrait ». Il s’ensuit une succession d’arrêts maladie de 90% du personnel paramédical selon les syndicats qui évoquent un « état d’épuisement et de mal être ».
Il se trouve que je connais bien le directeur du CHR (centre hospitalier régional) d’Orléans, car nous organisons avec la députée de la circonscription Stéphanie Rist le 21 juin prochain un colloque intitulé « Hôpitaux : vers une nouvelle approche des ressources humaines ».
J’ai donc appelé hier Olivier Boyer – c’est son nom – pour lui demander de m’expliquer la situation. Son constat est sans appel : « Notre bassin de population est de 300 000 habitants. A Orléans, nous avons chaque année 60 000 passages aux urgences et nous accueillons 150 à 300 internes. A Tours, ils ont 50 000 passages et 600 internes. Faites le calcul : nous avons 20% de patients en plus avec deux fois moins de personnel. »
Au-delà du cas particulier de son établissement, Olivier Boyer livre un diagnostic on ne peut plus clair : « Il faut absolument revoir le mode de rémunération des médecins, martèle-t-il. Le faire en concertation avec eux, mais le changer en profondeur. Aujourd’hui en France, vous avez d’un côté les libéraux qui sont payés « à l’acte » – donc en fonction de leur volume de travail. Et, de l’autre, les hospitaliers qui touchent le même salaire quoi qu’ils fassent. Les premiers n’ont donc aucun intérêt à partager leurs activités. Ni à favoriser ce qu’on appelle le transfert de compétences, c’est-à-dire la possibilité pour d’autres professionnels de faire ce qu’ils estiment être leur domaine réservé. »
Voilà pourquoi, hier, les médecins libéraux s’opposaient à la vaccination par des « IPA » (infirmières en pratique avancée). Voilà pourquoi, aujourd’hui, ils s’opposent à la délivrance de certains médicaments par des pharmaciens. Et tant pis si cela constitue un frein aux besoins réels des Français.
Quant aux praticiens hospitaliers, Olivier Boyer souhaite que, pour une part au moins, leur rémunération soit fixée en fonction de leur activité réelle. « Une T2A individualisée en quelque sorte » – la T2A étant une allocation de ressources par service liée au volume de prestations fournies par le dit service. En pratique par exemple, plus un service de chirurgie opère de malades, plus il reçoit d’argent de son établissement.
La fermeture du service d’urgences à Orléans a eu en tout cas pour conséquence immédiate une chute drastique du nombre de consultations : 60 en moyenne par jour contre 200 auparavant. Faut-il s’en réjouir ? « Notre pays souffre sans doute d’une forme de consumérisme médical, qui fait que certains patients viennent aux urgences sans que ce soit une véritable urgence. Pour autant, la situation actuelle est, avant tout, le symptôme d’un effondrement global de notre système de santé et d’un manque criant de généralistes sur le territoire », dénonce Olivier Boyer.
« En principe, poursuit-il, la mission de l’hôpital, c’est d’être un recours, une réponse en 2ème intention. Au fil des ans, il est également devenu une porte d’entrée, un premier accès aux soins. C’est une des principales explications des difficultés de l’hôpital aujourd’hui. Mais il n’est pas responsable de cet état de fait. Il le subit. Son personnel aussi. Les Français également. C’est la raison pour laquelle il faut revoir tout le système. Et redonner du sens aux métiers du soin et à ceux qui l’exercent. »
Ce sera l’urgence absolue du prochain ministre de la Santé. Bon courage …