Médecins-pharmaciens : la guerre est (vraiment) déclarée

Furax ! Oui, les médecins sont « outrés », « fâchés », « ulcérés » (à chacun ses termes) par le vote mardi de la loi Santé à l ‘Assemblée Nationale. La cause ? Un amendement déposé par Thomas Mesnier, député macroniste – et accessoirement médecin urgentiste. A croire que l’on n’est jamais si bien trahi que par les siens…

Rejeté l’automne dernier sous la pression du gouvernement, cet amendement a finalement été adopté. Dès l’année prochaine, les pharmaciens pourront donc délivrer, sans ordonnance, des médicaments sur ordonnance pour des pathologies bénignes telles qu’une cystite, une conjonctivite ou un eczéma. Mais sous haute surveillance : la liste de ces médicaments sera fixée par arrêté ministériel, la Haute Autorité de Santé (HAS) définira le protocole en question, et la délivrance ne sera possible que « sous réserve d’une formation ad hoc et d’un lien obligatoire réalisé auprès du médecin traitant ».

On le voit, cette pratique sera très encadrée, pour ne pas dire corsetée. Il faut croire que, pour le corps médical, c’est déjà trop si l’on en juge par les réactions de nombreux députés de tous bords, LR, socialistes et centristes. Jusqu’au député communiste Jean-Paul Lecoq, qui y voit l’avènement d’une « médecine à deux vitesses, low cost » ! Manifestement gênée aux entournures, la ministre de la Santé a d’ores et déjà promis qu’elle s’emploierait activement à « trouver un consensus {…} afin que tout le monde se sente à l’aise avec ce nouveau dispositif ».

Il s’agit là d’une réponse très politique adressée aux élus. Et quelque peu corporatiste car outre ses responsabilités passées (vice-présidente de l’INCa, Institut national du cancer, présidente de la HAS…) Agnès Buzyn est médecin, spécialiste en hématologie et ancienne chef de service à l’hôpital Necker à Paris. Rien d’étonnant dès lors que la ministre défende bec et ongles ses collègues. Dans un entretien au Quotidien du Médecin, elle prévenait d’ailleurs : « Tout passage en force risque de braquer mais je vais travailler avec les syndicats pour trouver une voie de passage ».

Je lui souhaite bien du plaisir… Car du côté des syndicats de médecins justement, on se déchaine ! pour MG France qui représente les généralistes, c’est une « perte de chances pour les patients » ; pour les spécialistes de la CSMF, « le pharmacien qui veut jouer au médecin (sic) ce n’est pas bon » ; pour la FMF, on voudrait carrément « « éloigner les médecins purement et simplement du soin ». Et tous menacent : si cette disposition n’est pas abandonnée, ils se retireront des négociations conventionnelles et entreront « dans un conflit dur ». Bref, ce sera la guerre et les pouvoirs publics l’auront bien cherché…

Pourquoi une telle poussée d’urticaire ? De fait, les praticiens que j’ai interrogés sont vent debout contre cette mesure et citent le même exemple, celui de la cystite. En substance, expliquent-ils, avant de prescrire un traitement antibiotique, un professionnel doit d’abord vérifier qu’il ne s’agit pas d’une mycose ; il doit également palper la patiente et s’assurer que les douleurs ne cachent pas une pathologie plus grave, de type pyélonéphrite (infection rénale). Au besoin, il demandera une échographie de contrôle. Bref, la cystite nécessite un diagnostic et les pharmaciens n’ont pas les compétences requises.

Soit. J’entends ces arguments, j’admets leur pertinence. Mais dans les faits, les médecins pratiquent-ils tous des examens aussi poussés ? Personnellement, je fais l’hypothèse que la plupart d’entre eux se contentent, au mieux, d’un interrogatoire complet. On peut donc raisonnablement penser que des pharmaciens correctement formés seraient aptes à conduire un tel interrogatoire – et à réorienter vers le médecin en cas de doute légitime.

Je pêche peut-être par naïveté, mais je suis persuadé que, pour une somme aussi dérisoire (une dizaine d’euros pour un traitement en mono-dose), aucun pharmacien ne prendra le risque médico-légal de se tromper. Et ce, pour une raison simple que beaucoup de gens ignorent : le pharmacien est toujours co-responsable (à 50% avec le médecin) de la délivrance d’un médicament – même lorsque ce dernier rédige une ordonnance manifestement dangereuse.

J’irais même plus loin : la véritable valeur ajoutée d’un généraliste réside-t-elle uniquement dans la prise en charge d’une banale conjonctivite ? N’est-elle pas plutôt dans sa capacité d’écoute et d’empathie ? dans le dialogue singulier qu’il établit avec ses patients ? dans la connaissance fine de leurs polypathologies ? dans la coordination de leurs parcours de soins ? Autrement dit, un bon médecin doit évidemment continuer à faire des vaccins et à soigner des cystites. Mais il ne devrait pas se sentir menacé parce que d’autres que lui seraient, demain, autorisés à effectuer certaines de ces tâches. Il pourrait même se réjouir d’avoir davantage de temps pour se consacrer à ses missions premières.

J’en étais là de mes réflexions personnelles, lorsqu’est intervenu le vote cette semaine d’une nouvelle disposition : dès l’année prochaine, des tests de dépistage rapides (TROD) d’angine seront disponibles et remboursés dans les pharmacies. Leur intérêt : déterminer si une angine est d’origine virale ou bactérienne, et limiter la prise d’antibiotiques à la deuxième situation. J’imagine déjà les hurlements de certains syndicats de médecins sur le thème « encore une mesure contre nous, encore une remise en cause de nos compétences, encore une brèche ouverte à la dispensiation par des pharmaciens ».

A ces praticiens, je répondrai ceci : commercialisés en 2002, ces TROD sont gratuits pour les médecins qui en font la demande auprès de l’Assurance Maladie. Sauf qu’en pratique, 40% à peine des généralistes passent effectivement commande. Pourquoi ? Parce que, après avoir passé un coton tige dans la gorge du malade, le médecin doit parfois faire le patienter dans la salle d’attente avant d’avoir le résultat. Pour mémoire, le délai en question était au début de 20 minutes. Depuis, il a été réduit à … six minutes. Pour certains, ce sont encore manifestement six minutes de trop.