Sexisme à l’hôpital : une interne témoigne

En écrivant mon post précédent sur le sexisme à l’hôpital, j’ai réalisé qu’il manquait un élément essentiel : la parole des intéressé(e)s, à savoir les femmes. C’est pourquoi j’ai demandé à une interne comment elle vivait, au jour le jour, le sexisme de ses collègues masculins, qu’ils soient eux-aussi internes ou déjà en activité, voire au sommet de la hiérarchie.

J’ai donc interrogé Alizéee Porto, du service de chirurgie cardiaque adulte de l’hôpital de La Timone à Marseille. Membre de l’ISNI, le syndicat des internes, Alizée a coordonné l’enquête nationale menée auprès des 30 000 internes de France dont les résultats seront rendus publics en fin de semaine prochaine. Son témoignage est édifiant : il raconte, de l’intérieur, ces petits faits qui peuvent sembler anodins mais qui, mis bout à bout, disent le chemin à parcourir encore pour une réelle égalité entre hommes et femmes à l’hôpital.

« Ce qui m’a le plus frappé en lisant les témoignages des internes, c’est la dichotomie entre les situations vécues et les mots posés dessus. Propositions à caractère sexuel, contacts physiques imposés, gestes non désirés, remarques déplacées : de nombreuses femmes sont concernées, dans toutes les unités, dans tous les établissements. Et pourtant, elles ne se considèrent pas comme des victimes, même lorsqu’elles subissent des choses inadmissibles. Comme si elles n’avaient pas conscience de la violence qui leur est faite.

Je songe par exemple à cette jeune fille à qui, à chaque réunion de staff, son chef de service posait la main sur la cuisse en lançant « Viens donc me voir cet après-midi » avec un clin d’œil qui se voulait égrillard et complice. Et pourtant, dans le questionnaire qu’elle a rempli, elle répond « non » à la question « avez-vous subi une forme de harcèlement sexuel ? » !

Plaisanterie ? Proposition sérieuse ? Chantage ? Difficile à dire, surtout quand ça se déroule devant tout le monde et sur un ton badin. Et puis, la quasi-totalité des chefs de service sont de grands professionnels, ce sont eux qui nous apprennent notre métier. On les respecte pour cela et je vous assure que ce n’est pas simple de dire « stop » dans ces conditions.

Cela dit, le sexisme prend souvent des aspects plus détournés. C’est particulièrement vrai au bloc opératoire, où l’on entend des réflexions telles que « avec toutes ces femmes en chirurgie, c’est la mort de la spécialité ». Ou encore, si on fait un geste un peu brusque : « Ah là là… Femme au tournant c’est la mort au volant ».

Ces phrases, on les entend tellement souvent qu’on finit par ne plus y prêter attention. En ce sens, vous avez raison de parler de « sexisme au quotidien » plutôt que de « sexisme ordinaire », car la répétition des situations amoindrit en quelque sorte la portée réelle des gestes et des paroles déplacés.

En fait, le problème est là : au-delà du « vrai » harcèlement sexuel, finalement assez rare, c’est ce climat général entretenu par la plupart des hommes. Une blague de l’un, une allusion de l’autre, une réflexion d’un troisième, sur un ton d’« humour » censé être sympa et sans importance. Mais comme ce n’est pas systématique, comme chacun y va de sa petite phrase, on risque de passer pour une rabat-joie si on le prend mal.

Les premières années, quand j’entendais des propos sexistes, je rigolais volontiers car je ne réalisais pas. Depuis que je travaille sur le sujet, ça me fait moins rire… et maintenant que tout mon service sait que je coordonne une enquête là-dessus, les hommes font plus attention. Et quand ils dérapent ils se tournent vers moi et disent qu’ils sont désolés !

Une autre phrase qu’on entend de son chef quand on est interne et femme, c’est « Tu n’as pas le droit de tomber enceinte tant que tu es donc mon service ». Ou encore : « Tu ne pourras pas t’occuper à la fois de tes patients et de tes enfants ». Et le pire, c’est que certaines femmes l’intègrent dans leur tête comme une réalité. Récemment, je demandais à une jeune étudiante à quelle spécialité elle se destinait plus tard. Elle m’a répondu : « J’ai toujours voulu faire chirurgie mais on m’a dit que ce n’était pas un métier de femme car dur physiquement et que je n’aurai pas de vie de famille. Du coup j’hésite. » Moi j’ai du mal à comprendre : les mentalités ont changé, les conditions de travail se sont améliorées – et ça vaut aussi pour les hommes ! On n’aura pas forcément une vie de famille je le sais, mais ça ne veut pas dire que c’est impossible.

Je voudrais pour finir insister sur deux points, dont on parle moins. Le premier, c’est que le sexisme est autant le fait des patients que celui des médecins. Très souvent, quand je suis en visite dans mon service, les malades s’adressent spontanément au jeune étudiant homme et pas à moi. Et l’autre point, c’est que le sexisme vis-à-vis des infirmières et des autres professions paramédicales est bien plus constant, bien plus appuyé que celui vécu par les internes. Mais ça, c’est le tabou ultime et il n’est malheureusement pas près d’être soulevé par le corps médical. »