Comment lutter efficacement contre les « antivax » ?


Ignorant, imprudent, inconscient ? Je dirais plutôt dangereusement irresponsable… Je parle de ce couple de touristes français qui vient de provoquer une épidémie de rougeole au Costa-Rica. Arrivés avec leur fils de 5 ans contagieux car non vacciné (sa mère non plus d’ailleurs), ils ont contaminé plusieurs personnes avant d’être identifiés et mis en quarantaine – si tout va bien, ils devraient revenir dans quelques jours en France.
Pour mémoire, le Costa-Rica a éradiqué cette maladie dès l’an 2000, et le dernier cas (importé lui aussi) remontait à 2014. Le pays vient de lancer une campagne nationale de revaccination auprès de 770 000 enfants de 15 mois à dix ans, en raison de la flambée de l’épidémie chez son voisin vénézuélien ; mais il se serait bien passé de cas supplémentaires et évitables…
Comment ces Français ont-ils pu prendre un tel risque ? Comment la patrie de Pasteur peut-elle faire partie des dix pays au monde qui ont connu la plus forte résurgence de rougeole ? Comment accepter qu’en février de cette année, la station de ski de Val Thorens soit touchée par une épidémie comme n’importe quel pays sous-développé ? Et ce, alors même qu’un vaccin efficace, sûr, peu coûteux est disponible depuis des dizaines d’années.
C’est un fait : en France, plus de 2 200 cas supplémentaires ont été notifiés en 2018 par rapport à 2017, rappelait récemment l’Unicef. Quant à l’OMS (Organisation mondiale de la santé), elle dénonce la réticence vis-à-vis des vaccins comme l’une des principales menaces pour la santé mondiale dans les années à venir. Or, notre pays est le champion du monde du scepticisme sur cette question : 41% d’entre nous prétendent que les vaccins ne sont pas sûrs, contre 17% par exemple dans le reste de l’Europe.
Comment en est-on arrivé là ? J’ai déjà eu l’occasion d’aborder cette question dans un post de blog précédent. Et d’y revenir au moment de la décision courageuse d’Agnès Buzyn d’imposer l’obligation vaccinale contre 11 maladies fin 2017. Mais il faut croire que les idées fausses ont la vie dure – plus dure en tout cas que les préoccupations de santé publique.
C’est dire l’intérêt d’une étude passionnante venue d’Australie et publiée dans la revue Health Psychology l’année dernière. Mentionnée hier dans un article du Figaro, elle a été menée dans 24 pays dont le nôtre, et rappelle que les anti-vaccins se recrutent dans toutes les couches de la population, à tous âges et à tous niveaux de revenus. Y compris les jeunes adultes et les CSP +.
Cette étude a permis de dégager trois types de profils psychologiques chez les « antivax ». Il y a les conspirationnistes, nourris à coup d’Internet et de fake news sur le mode « La vérité c’est nous, les menteurs c’est eux ». Il y a ceux que les chercheurs appellent les « anticonformistes », nourris à coup d’individualisme forcené : ce qui est bon pour les autres n’est pas forcément bon pour moi. Il y a enfin les tenants du tout naturel, nourris à coup de thérapies dites alternatives : mon corps sait ce qui est bon pour moi et tout élément étranger est susceptible de lui faire du mal.
On voit bien, dans ces conditions, les difficultés auxquelles se heurtent les pouvoirs publics. Les arguments rationnels sont illusoires : ils ne font que renforcer la paranoïa. Les arguments collectifs sont inefficaces : ils ne font que renforcer l’individualisme. Les arguments scientifiques sont inutiles : ils ne font que renforcer le refus de toute médicalisation de la santé. On est dans le domaine de la croyance, pas du savoir ; au point que le remède s’avère parfois pire que le mal : plus les autorités essayent de convaincre, plus elles alimentent la défiance.
Forte de ce constat assez désespérant il faut le reconnaître, l’équipe australienne propose une piste d’action originale et plutôt séduisante : prendre les antivax à leur propre jeu. Dénoncer les « vrais » scandales. Montrer qui ment dans ces affaires. Qui manipule l’opinion publique. Qui se comporte en lobby. Et dans quel but. Désigner en quelque sorte ceux « à qui profite le crime ».
En l’occurrence, la question des liens entre la vaccination ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et l’autisme constitue un exemple formidable de ce renversement de perspective. L’histoire est la suivante : en 1998, une étude britannique publiée dans le très sérieux Lancet montre l’existence d’un tel lien.
En 2010, sous la pression des lobbys pharmaceutiques, ce même Lancet décide de désavouer l’étude. Son auteur, le Dr Andrew Wakefield, est contraint de s’exiler aux États-Unis. Malgré des soutiens de poids (Jim Carey, Donald Trump…), il est aujourd’hui encore menacé et son film Vaxxed, réalisé en 2016, fait l’objet d’une campagne de dénigrement injuste.
Cela, c’est l’histoire « officielle », celle que raconte le Dr Wakefield. La réalité est tout autre. Car l’étude publiée en 1998 concernait… 12 patients, pas un de plus. Depuis, la totalité des études ont infirmé ces premiers résultats ; la dernière en date remonte à cette semaine, elle est danoise, et irréfutable par son ampleur et son sérieux – 650 000 enfants au total nés entre 1999 et 2010, 6 500 autistes parmi eux et aucune différence qu’ils aient ou non été vaccinés.
Mais surtout, une enquête publiée en 2011 dans le BMJ, une revue scientifique tout aussi sérieuse que le Lancet, a révélé que le Dr Wakefield avait été rémunéré par les avocats des familles d’enfants autistes – à hauteur de 400 000 livres. Et que ce même docteur avait créé une entreprise promettant un test de dépistage fiable de la maladie.
Bref, la manipulation est du côté des antivax. Le véritable lobby est là, bien plus que chez les tenants de la médecine « traditionnelle ». Et les enjeux financiers sont au moins aussi forts pour les opposants à la vaccination que pour les laboratoires pharmaceutiques. Entre « vaccin » homéopathique, plantes en tous genres et produits dits « naturels » censés renforcer les défenses immunitaires, il y a sûrement pas mal d’argent à se faire…
Combattre les antivax avec leurs propres armes : voilà sans doute la façon la plus sûre de gagner le combat. Mais il existe un autre angle d’attaque, plus subtil et tout aussi efficace. C’est de passer par les premiers concernés, à savoir les enfants. De nombreuses études l’ont montré : cibler des citoyens qui n’ont aucun a priori (ce qui est le cas des jeunes) et leur expliquer de façon raisonnable les avantages (évidents) et les inconvénients (réels mais minimes) d’une stratégie sanitaire est extrêmement opérant. Ça a marché à propos du tabac : pour la première fois en France, les ados fument nettement moins que leurs ainés. Cela pourrait marcher aussi avec la vaccination. Car ce sont les jeunes qui peuvent influencer leurs parents. Ces jeunes qui seront eux-mêmes, demain, des parents.