« Fier » d’avoir le cancer ?…

L’info m’avait échappé, et c’est en lisant Prescription Santé, la lettre quotidienne d’Olivier Robichon,  que je l’ai découverte : samedi se déroule place de la République à Paris la première « Cancer Pride ». Dès 13 heures, le public est donc invité à participer à cette « marche citoyenne » dont l’objet est, nous expliquent les organisateurs, de «participer à un événement optimiste et collaboratif, de libérer la parole et de changer l’impact de la maladie sur nos vies ». En soi, l’idée est tout à fait louable et les partenaires de cette manifestation, tout aussi irréprochables : l’Institut Curie, la Ligue contre le Cancer, Cancer AP-HP pour ne citer que ceux-là.

Pour avoir moi-même écrit plusieurs articles sur le sujet quand j’étais journaliste, je sais à quel point « le crabe » fait peur. Je n’ai pas oublié les personnes qui m’avaient raconté leur quotidien – sentiment de culpabilité, parfois même de honte ; appréhension de perdre son travail ; peur d’une rechute possible ; difficulté à se projeter dans l’avenir.

Je n’ai pas oublié non plus certains témoignages révoltants. Les annonces faites sans ménagement et par téléphone. Les quasi reproches (en tout cas, ressentis comme tels), sur le mode « c’est de votre faute, vous n’aviez qu’à arrêter de fumer, vous faire dépister, manger correctement ». Rayez les mentions inutiles. Et je ne parle pas des réactions dans le monde professionnel. Des paroles parfois blessantes ou maladroites de l’entourage. Ni la double peine vécue des années plus tard, après rémission, quand il s’agit de demander un prêt à sa banque et que celle-ci impose des surprimes exorbitantes. Ou qu’elle refuse purement et simplement le dossier sans même prendre la peine de s’expliquer.

C’est un fait : aujourd’hui encore le cancer n’est pas vraiment une maladie comme les autres. Malgré les progrès de la médecine. Malgré le soutien des associations de patients. Malgré de réels progrès sur le plan juridique, en particulier l’instauration, enfin, d’un « droit à l’oubli » en matière d’assurances porté par l’association Rose. A eux seuls, ces constats justifieraient que l’on continue, collectivement, à se révolter contre de telles injustices.

D’où vient alors, pourtant, ma réticence devant cette « Cancer Pride » ? Il s’agit évidemment d’un écho à la Gay Pride et après tout, les associations de lutte contre le sida, Act Up en tête, ont ouvert des brèches qui ont conduit effectivement à une plus grande visibilité des malades du sida. Puis, par extension, aux malades du cancer. Cette visibilité doit bien entendu être encouragée car le combat est loin d’être gagné. Les idées fausses ont la vie dure et l’idée qu’un cancer puisse être contagieux, aussi absurde soit-elle sur le plan scientifique, reste encore vivace chez certains.  En ce sens, je ne peux que soutenir une telle démarche.

Reste le choix de la date, celle du 6 avril. Car il se trouve que ce week-end est également celui du lancement du Sidaction et du 25ème anniversaire de la première édition. De deux choses l’une : soit les organisateurs de la Cancer Pride l’ont oublié lorsqu’ils ont décidé de lancer leur événement et c’est bien dommage. Soit ils l’ont fait en connaissance de cause et c’est regrettable.

Mais il y a autre chose qui me dérange : autant je conçois une « marche des fiertés » (Pride signifie Fierté en anglais) quand il s’agit de lutter contre les discriminations à l’égard des homosexuels, autant je m’interroge sur la pertinence de ce terme lorsqu’on parle de tumeurs, de métastases ou de rémission. Car enfin, de la « non honte » à la fierté il y a un pas. Un grand pas, même, que j’ai du mal à franchir. Fier de quoi ? de parler de son cancer ? de l’affronter ? de le combattre, voire de le vaincre ?

Au fond, je suis gêné par cette sorte de glorification d’une histoire, aussi pleine d’espoir soit-elle, qui reste toujours individuelle. Outre-Atlantique, c’est très à la mode. Les Américains adorent quand Angelina Jolie annonce qu’elle va subir une double mammectomie préventive liée à son cancer du sein. Ou quand Ryan Murphy, le créateur de la série Glee, révèle le neuroblastome de son fils. En France, on voit depuis quelques temps se multiplier les témoignages de « people » sur leur état de santé (le présentateur Patrick Chêne et son cancer par exemple) ou sur celui de leur enfant (Églantine Eméyé et son fils autiste).

Pourquoi pas après tout, dès lors que cela peut aider d’autres personnes. Mais attention à ne pas tomber dans le sensationnalisme. Le cancer, et plus encore le sida, demeurent des maladies stigmatisées parfois, difficiles à affronter toujours. Les raconter sous la forme d’un combat gagnant, c’est donner de l’espoir. C’est aussi prendre le risque que cet espoir soit déçu. Et ça, c’est terrible à vivre quand on n’a pas la double « chance » d’être connu(e) ; et de guérir du cancer.