Pénurie de médicaments : comment lutter ?


Un, deux, trois … en quatre ans ! Le plan de lutte contre les pénuries de médicaments annoncé cette semaine par le gouvernement est donc le 3ème après celui d’Agnès Buzyn en juillet 2019 et celui de François Braun en juin 2023. C’est dire si la situation est grave. Si elle empire. Et si, malgré les promesses, elle n’est pas près de s’améliorer.
En 2007, on ne comptait qu’une cinquantaine de cas. Dix ans plus tard, on en était à 500. Et en 2023, ce sont près de 5 000 molécules qui sont, ponctuellement ou durablement, concernées. Cent fois plus qu’il y a quinze ans. Sans qu’aucune solution satisfaisante soit trouvée. Le mal est profond …
Il suffit de se poster un quart d’heure dans une pharmacie pour entendre « J’ai une boite mais pas deux », « Désolé, c’est en rupture de stock » ou « Je l’ai commandé, mais impossible de vous dire quand il arrivera ». Antibiotique de base comme l’amoxicilline, médicament pédiatrique ou traitement indispensable contre le cancer, toutes les classes de médicaments sont touchées. En 2020 déjà, la Ligue avait interrogé les médecins hospitaliers sur le sujet : la quasi-totalité estimait que les problèmes ne cessaient de d’aggraver et, pour les trois-quarts d’entre eux, qu’ils engendraient même une « perte de chances » pour les patients.
Comment en est-on arrivé là ? Il y a bien sûr des explications structurelles au niveau mondial : raréfaction des sites de production, en particulier en Europe, concurrence accrue entre les labos pour obtenir les matières premières etc. Il y a des causes spécifiques aux pays développés : vieillissement de la population, augmentation des pathologies chroniques etc. Et, comme toujours, des particularismes franco-français : surconsommation, mésusage …
Il y a aussi des phénomènes conjoncturels. La crise du Covid en est une parfaite illustration, avec l’explosion de la demande de curare ou de corticoïdes. Parfois, ces phénomènes peuvent prendre des tours inattendus. En 2011, la catastrophe de Fukushima par exemple a entrainé une pénurie d’œufs de saumon. Ce qui, en soi, ne serait pas plus grave que ça si on n’en tirait la protamine, une protéine indispensable dans la composition de traitements anti-hémorragiques !
Bref, les causes sont multiples et depuis la 1ère directive européenne de 2004 sur le sujet les États ont tenté d’y répondre chacun à leur façon. Avec des résultats pas vraiment concluants. Pour ne prendre qu’un pays, la France, et une année, 2023, la stratégie mise en place a consisté à définir 450 médicaments « essentiels », dans une liste à la Prévert qui va de la vitamine K aux anticancéreux, et des vaccins aux anti vomitifs. Et à faire signer aux acteurs concernés une « charte d’engagement » de bonne conduite en neuf points, dans laquelle il est question de tendre vers « une répartition équitable des stocks disponibles » et « d’appliquer une démarche éthique systématique excluant tout argument commercial au détriment de la santé publique ». On a connu charte plus contraignante …
Ce nouveau plan de ce nouveau gouvernement va-t-il changer la donne ? Les quatre axes privilégiés ne prêtent guère à polémique : un plan d’action gradué, des mesures économiques et en santé publique « pour améliorer la disponibilité » et, enfin, une plus grande transparence. Tout cela semble raisonnable. Sauf qu’à y regarder plus près les 43 pages de cette « feuille de route 2024-2027 », la plupart des mesures ne seront pas effectives avant 2025, et même 2030 au mieux pour d’éventuelles relocalisations.
Mais surtout, il n’y a dans ce plan que peu, voire pas de contraintes. Et guère davantage d’ambitions fortes. Les trois ministres signataires (Catherine Vautrin, Frédéric Valletoux, Roland Lescure) auraient pu, auraient dû lire un excellent rapport sur le sujet rédigé par des sénateurs et dont je me faisais l’écho dans le post lisible ici-même.
Dans ce travail, ces derniers faisaient en effet un certain nombre de propositions précises : développer des structures publiques de pharmacie centrale comme en Suisse. Constituer des réserves stratégiques européennes comme aux Etats-Unis. Effectuer des achats groupés à plusieurs comme au Bénélux. Imposer une dispensation à l’unité comme au Québec. Autant d’initiatives qui sont à peine mentionnés dans la feuille de route gouvernementale.
Dommage. Et d’autant plus regrettable que le rapport sénatorial a été publié en … 2018. A l’époque où il y avait dix fois moins de pénuries de médicaments.