Pénurie de médicaments : à qui la faute ?


Pénurie de masques, de blouses, de réactifs ? C’est la faute au Covid ! Pénurie de paracétamol, d’Azithromycine, d’hydroxychloroquine ? C’est la faute au Covid ! Pénurie de corticoïdes, de médicaments hypertenseurs, de chimiothérapies ? C’est la faute… aux labos !
L’accusation n’est pas nouvelle. On pourrait même parler de phénomène récurrent, voire en constante augmentation : 530 signalements déclarés en 2017 à l’ANSM, l’Agence du Médicament ; 870 en 2018, et près de 1 500 en 2019. Au total, le nombre de ruptures d’approvisionnement a été multiplié par 34 en à peine dix ans !
C’est dire si la loi votée en décembre dernier – juste avant l’arrivée du Covid 19 – a été soutenue par les associations de patients. Adoptée à l’unanimité par les députés, elle prévoyait d’obliger les industriels à assurer des stocks suffisants pour les médicaments et, surtout, avec une durée minimale, « dans la limite de quatre mois ». Quels médicaments, et pour quelle durée ? Telle est la question… Une question cruciale, alors que le décret d’application est attendu dans les tout prochains jours.
Il aura donc fallu neuf mois pour que la loi soit enfin mise en œuvre. Le délai peut sembler long, mais il montre l’importance des enjeux économiques et sanitaires. D’autant que les labos et les associations de patients ne sont à peu près d’accord sur rien. Ni sur les traitements concernés, ni sur la durée de stockage.
Or il y a urgence : selon un sondage de la Ligue contre le cancer auprès de 500 professionnels de santé, la quasi-totalité (95%) des pharmaciens hospitaliers dénoncent une aggravation de la situation ces dix dernières années. De nombreuses classes de médicaments sont concernées, y compris des traitements essentiels contre le cancer – qui représentent à eux seuls plus de 20% des signalements effectués. Au point d’engendrer, d’après les ¾ des professionnels interrogés, une réelle « perte de chances » pour les patients.
Pour les associations, la cause est donc entendue : le décret doit instaurer des stocks de quatre mois pour tous les médicaments d’ « intérêt thérapeutique majeur » (MITM). Et de deux mois pour les autres médicaments.
Pas question ! répond l’industrie pharmaceutique dans un communiqué du Leem, le syndicat des labos. La durée de quatre mois doit selon lui être réservé uniquement aux médicaments d' »intérêt sanitaire et stratégique » (MISSI), ceux pour lesquels il n’existe aucune alternative thérapeutique. Et le Leem ajoute que les MITM représentant « la moitié des 15 000 spécialités pharmaceutique commercialisées », la demande des associations serait « matériellement irréalisable ». Pire, elle aurait « pour effet d’aggraver » les pénuries car certains labos arrêteraient purement et simplement de les produire. Si ce n’est pas une menace, cela y ressemble fort.
Or la réalité, c’est que ces fameux MISSI ne sont pas ou peu impliqués dans les pénuries, à la différence des MITM. Pourquoi ? Parce que ces MITM sont souvent des médicaments anciens. Donc peu chers. Donc moins avantageux pour l’industrie que les traitements récents comme les immunothérapies. Que les labos fassent le choix de la rentabilité, on peut le comprendre. De là à présenter sa proposition comme un « dispositif pragmatique et responsable dans l’intérêt des patients », c’est tout de même un peu fort de café…
La solution viendra peut-être du Parlement européen, qui a voté aujourd’hui même le rapport de la député Nathalie Colin-Oesterlé. Celui-ci propose notamment l’instauration d’une pharmacie européenne d’urgence pour les médicaments et les vaccins prioritaires et la création de plusieurs établissements pharmaceutiques à but non lucratif qui produiraient justement ces molécules délaissées par les labos. Sur le papier, l’idée est simple et généreuse.
Sauf que. Sauf que, on l’a bien vu au début de l’épidémie de Covid 19, l’Europe n’a pas fait cause commune quand il s’est agi d’acheter des produits aussi simples que des masques. Elle ne l’a jamais fait non plus pour acheter « en gros » des médicaments. Alors, se mettre d’accord pour en fabriquer et les redistribuer, vous imaginez…