Obèses et mal nourris : la double peine

Le constat est cruel, très injuste : on peut ne pas manger assez et être obèse. Pire, plus on est pauvre et plus le risque est grand. Les banques alimentaires, qui ont accueilli plus de 2,5 millions de personnes en 2023 viennent de publier une étude sur le sujet. Elle est préoccupante.

Sur ces 2, 5 millions de personnes en grande précarité (+ 30% en trois ans !) plus d’une sur quatre est en effet obèse. Elles ne mangent pourtant pas toujours à leur faim : 35% doivent se contenter de deux repas par jour, et même d’un seul pour 3,6% d’entre elles. Dans les familles monoparentales, la situation est plus grave encore : moins d’une sur trois déclare manger en quantité suffisante tous les aliments qu’elle souhaiterait.

Comment expliquer cette double peine, à savoir une nourriture en quantité insuffisante et une obésité importante, voire morbide ? Rappelons que la première se définit par un IMC supérieur à 25, et la seconde par un IMC de 30 ou davantage – l’IMC (indice de masse corporelle) se calculant en divisant le poids par la taille au carré.

Des chercheurs anglais se sont penché sur la question et leurs conclusions, publiées dans un article de la Royal Society en septembre dernier, s’appuient sur un concept original, l’insécurité alimentaire. Celle-ci peut s’exprimer sous deux formes. Insécurité nutritionnelle : l’espace entre deux repas est trop long, ce qui met le corps en situation de manque. Insécurité psychologique : la crainte de ne pas avoir assez d’argent pour racheter de la nourriture, ce qui met le cerveau en situation d’angoisse.

Dès lors que ces événements se produisent régulièrement, différents mécanismes physiologiques et comportementaux se mettent en place : certains augmentent leur consommation alimentaire dès que c’est possible, d’autres privilégient les aliments à haute teneur énergétique (très gras ou très sucrés), ou réduisent, même inconsciemment, toute activité pour ne pas provoquer de fringale etc.

Quelles que soient les réponses, la conséquence est le même, observent les scientifiques : une augmentation des réserves corporelles de graisse, en prévision de futurs épisodes éventuels de manque. Un mécanisme archaïque, qui remonte à la préhistoire, et qui a sans doute sauvé de la famine les premiers hommes mais qui n’est pas adapté à notre monde actuel.

Cette hypothèse est corroborée par une autre étude menée récemment au Royaume Uni sur des femmes obèses, en grande précarité, qui avaient accouché au cours de l’année précédente. Les chercheurs ont étudié leur alimentation et constaté qu’elles absorbaient à la fois trop de viande rouge transformée, pas assez de légumes et de fibres (1,6 à 2 portions par jour) et que leur activité physique se résumait principalement « à l’entretien du foyer » – sans doute parce qu’elles n’avaient ni le temps ni l’argent pour pratiquer des activités sportives.

La situation n’est pas différente dans notre pays : l’obésité est « quatre fois plus fréquente chez les personnes défavorisées socialement » rappelle la Haute Autorité de Santé  (HAS) dans le guide sur le parcours de soins qu’elle vient de faire paraitre, quelques jours avant la journée mondiale de l’obésité qui a lieu aujourd’hui même, le 4 mars.

Dans ce guide très complet de plus de 200 pages, la HAS détaille les nombreuses formes de prises en charge possibles, de l’accompagnement par des spécialistes en nutrition au rôle des patients experts et des associations de patients en passant par la chirurgie bariatrique et le suivi post-opératoire.

La HAS insiste en particulier surtout deux points : toute prise en charge doit être personnalisée, adaptée et multi-professionnelle. Et le regard extérieur (famille, entourage, collègues …) doit être bienveillant et non stigmatisant. Un rappel nécessaire, opportun, mais qui aujourd’hui encore est loin d’être la norme, aussi bien individuellement que collectivement.