Fake news : les ravages d’Internet
Le chocolat noir utile en cas de dépression ? Un Français sur deux valide. Le vaccin contre le Covid responsable de 25 000 morts en Europe ? Un Français sur trois l’affirme. Le jeûne efficace contre le cancer ? Un Français sur six le croit. Je suis dé-ses-pé-ré …
Les conclusions de l’étude de la Fondation Descartes sont sans appel : dans notre pays, la science a perdu la bataille des idées et les fake news gangrènent chaque jour un peu plus le cerveau de nos concitoyens. Et plus ils vont sur Internet, plus ils y adhèrent. Autrement dit, moins ils savent, plus ils sont persuadés de tout savoir. Et ce, « toutes choses égales par ailleurs » comme disent les statisticiens, c’est-à-dire en supprimant les biais liés à âge, au sexe, aux revenus ou aux préférences politiques.
C’est inquiétant, quand on sait que sur les 4 000 personnes interrogées par la Fondation, près de 15% s’informent principalement par Facebook et plus de 10% par YouTube. C’est d’autant plus inquiétant que, globalement, le niveau de connaissance des Français en matière de santé est faible. Et quasi nul pour un tiers à la moitié d’entre eux selon les questions posées. Prenons quelques exemples concrets, inspirés des fake news répandues sur les réseaux sociaux.
Pour 50% des Français, l’exposition aux ondes électromagnétiques favorise le cancer, dont 15% certainement et 35% probablement.
Pour 51%, le chocolat peut être efficace « pour les troubles mentaux graves comme la dépression » (respectivement 10% et 41%).
Pour 10%, un citron congelé permet de lutter contre le diabète et des tumeurs (avec, surtout, 41% qui « ne savent pas » !)
En revanche, seuls 40% savent que boire un verre de vin par jour augmente le risque de cancer, soit autant que ceux qui sont, à tort, persuadés du contraire.
On pourrait multiplier les illustrations d’un phénomène de plus en plus fréquent : confiance grandissante dans les réseaux sociaux d’un côté, méfiance accrue envers les médecins et la parole des « sachants » de l’autre. Ainsi, près de 12% des Français ont déjà renoncé à des soins prescrits par un médecin au profit d’une thérapeutique dite alternative (réflexologie, lithothérapie, ayurveda j’en passe et des meilleures). Mais ce pourcentage grimpe à 29% chez les personnes qui « s’informent » par YouTube et même à 34% pour X (anciennement Twitter).
Entre goût pour la patamédecine (50% des Français prennent de l’homéopathie, 31%, des huiles essentielles), et attrait pour les théories New Age (30% croient à la télépathie, 28% aux fantômes, 23% aux envoutements) tout est réuni pour que le rationnel s’efface devant les convictions individuelles et les rumeurs les plus folles. Avec des conséquences dramatiques en matière de santé publique, en particulier quand il s’agit des vaccins.
Que, dans le pays de Pasteur, près d’un Français sur cinq ait refusé un vaccin pour lui-même ou son enfant a de quoi interpeller les pouvoirs publics. Mais que ce soit le cas de 35% des utilisateurs de Facebook et même de 51% des adeptes de X, voilà matière à réflexion. Que leur répondre à eux et aux 37% de Français qui pensent, à tort, que « des vaccins administrés trop tôt empêchent le développement du système immunitaire » ? Comment convaincre ces personnes qu’elles mettent en danger elles-mêmes mais aussi le reste de la population, y compris leurs proches et leurs propres enfants ?
Car, de la défiance au complotisme il n’y a qu’un pas. Que beaucoup ont déjà franchi. 12% sont convaincus que l’ « on » (qui ? Comment ?) a volontairement caché la mort de 25 000 personnes en Europe à cause des effets secondaires du vaccin contre le Covid. Près de 20% sont « plutôt d’accord » avec cette thèse délirante. Soit au total un Français sur trois, et sans doute beaucoup plus dans le public de YouTube, Facebook, Telegram et autres.
Il suffit pourtant de quelques minutes de réflexion pour admettre qu’il est matériellement impossible de passer sous silence le décès de 25 000 personnes en Europe. Cela supposerait une gigantesque conspiration qui conduirait tous les pays, tous les professionnels de santé, toutes les institutions, tous les gouvernements à se mettre d’accord entre eux pour imposer un mensonge à l’ensemble de la population. Cela supposerait également que les familles de ces 25 000 personnes ne se rendent compte de rien. Et que tous les États aient sciemment, froidement, décidé de tuer une partie de leurs citoyens. C’est impossible et pourtant de nombreux professionnels de santé l’ont affirmé au mépris de la réalité.
Certains médecins (Raoult, Perronne, Fouché …) portent une lourde responsabilité dans cette avalanche de fake news à travers leurs multiples prises de parole dans les médias et les réseaux sociaux. Mais ces mêmes réseaux sociaux qui, pour des raisons bassement mercantiles, leur ont offert une caisse de résonnance inespérée ont leur part. Ils devront, eux aussi, rendre des comptes un jour ou l’autre. Quand on sait que Didier Raoult a près d’un million de followers sur X, on mesure l’ampleur des dégâts de ses centaines de messages relayés par ses partisans.