Raoult bientôt suspendu par l’ordre des Médecins ?

Plutôt que de faire du Conseil en santé, je devrais peut-être me recycler comme devin. Car le post ci-dessous a été écrit… en avril dernier ! A l’époque, et à ma grande surprise, il avait été lu par plus d’un million de personnes – oui vous avez bien lu, un million.

J’avais découvert à cette occasion la puissance de Google et de son référencement (ce jour-là, mon post a été la chose la plus lue dans toute la France). J’avais surtout découvert la puissance de feu des pro-Raoult : près de 20 000 commentaires qui pour la quasi-totalité d’entre eux étaient, au mieux, agressifs, au pire, menaçants (« salopard », « collabo », « on va te pendre » et j’en passe).

N’empêche : les explications que j’avais avancées ne devaient pas être infondées, puisque l’Ordre national des Médecins a enfin mis sa menace à exécution. C’est la raison pour laquelle je republie aujourd’hui ce post, qui conserve – malheureusement – toute sa raison d’être.

N’empêche aussi : il aura donc fallu sept mois pour en arriver là. Sept mois pendant lesquels le ministère de la Santé aura brillé par son silence. Et l’Agence du Médicament par sa frilosité. J’ajoute que, vu les délais habituels pour que le Conseil se prononce après d’être auto-saisi (10 à 12 mois a déjà prévenu son Président), il y a fort à parier que d’ici là, Didier Raoult sera à la retraite. Si ce n’est pas de l’hypocrisie générale, ça y ressemble fort.

En définitive, le seul qui a réellement bougé depuis avril dernier c’est le laboratoire Sanofi qui a récemment annoncé qu’il ne fournirait plus Raoult et son équipe en hydroxychloroquine. C’est bien. C’est triste.

Les nuages s’accumulent sur Didier Raoult et son traitement contre le Covid 19…  A ce jour, un seul essai randomisé (avec tirage au sort) a été publié. Conclusion : pas d’efficacité démontrée, mais des effets indésirables beaucoup plus nombreux (30%, contre 9% dans le groupe témoin). Et voilà que le Conseil de l’Ordre des Médecins le menace désormais d’une suspension d’activité immédiate !

Le 23 avril en effet, ce dernier a publié un communiqué qui, sans le citer nommément, met gravement en cause le comportement du Pr Raoult. Le titre donne le ton général : « Protocoles de recherches cliniques illégaux : l’Ordre rappelle avec fermeté les règles en vigueur ». La suite n’est guère plus amène. Rappelant qu’il « serait inadmissible dans ce contexte {épidémique} de susciter de faux espoirs de guérison », l’Ordre saisit officiellement l’Agence du Médicament à propos de « ces protocoles qui s’inscrivent en dehors de la législation en vigueur ».

Mieux – ou pire – l’Ordre demande à ses instances départementales d’obtenir des explications en s’appuyant sur sept articles du Code de santé publique, pas moins, dont celui sur des « procédés illusoires insuffisamment éprouvés ».

Et ce communiqué se conclut sur une menace à peine voilée : « La mise en danger des patients, s’il apparaissait qu’elle puisse être provoquée par des traitement non validés scientifiquement, pourrait justifier la saisine du Directeur général de l’ARS {Agence régionale de santé} pour demander une suspension immédiate de l’activité de ces médecins ».

Pourquoi cette allusion à l’Agence du Médicament  (ANSM) ? L’Ordre des Médecins fait ici référence aux travaux du Pr Raoult, présentés « en avant-première » à Emmanuel Macron, lors de son déplacement à Marseille le 9 avril dernier. Car ces travaux ont justement fait l’objet d’une demande de précision de la part de l‘ANSM il y a une dizaine de jours déjà, et elle attend toujours une réponse du Pr Raoult…

La demande de l’ANSM était pourtant simple – du moins en apparence : que le Pr Raoult apporte la preuve que les travaux en question relevaient d’une étude « observationnelle » et pas « interventionnelle ».

J’en vois au fond de la classe qui décrochent et, je l’admets, la distinction mérite explication. C’est un peu technique, mais accrochez-vous, ça en vaut la peine !

Une étude est dite « observationnelle » quand elle a pour objet un traitement « habituel ». Elle est dite « interventionnelle » quand il s’agit d’un traitement « expérimental ». En gros, dans le premier cas on donne un médicament connu à des patients qu’on connaît bien, et dans le second on est dans l’inédit, on tente des choses « sans filet ».

La nuance n’a rien d’anodin, en particulier sur le plan légal. Pour une étude observationnelle, le cadre juridique est assez souple, il suffit d’obtenir l’accord du CPP (comité de protection des personnes) de son établissement. Pour une étude interventionnelle en revanche, le cadre est beaucoup plus strict : le protocole doit être clairement expliqué aux patients, les risques soigneusement pesés et l’étude doit au préalable recevoir l’aval de l’ANSM.

Or, qu’a fait le Pr Raoult ? Son premier essai, sur un tout petit nombre de patients, a bien été soumis à l’approbation de l’ANSM comme « interventionnel ». En revanche, celui du 9 avril a été déclaré « observationnel ». Avec cet argument : l’étude N°1 ayant « démontré » selon le Pr Raoult l’efficacité du traitement, celle du 9 avril ne serait rien d’autre que la confirmation – à plus grande échelle – de la première.

Un raisonnement pour le moins discutable… Et qui pourrait lui valoir de gros ennuis si l’ANSM ne le suivait pas. Car un essai clinique qui ne respecte pas les procédures officielles, cela peut aller jusqu’à un an de prison de 15 000 euros d’amende.

En l’occurrence, cette fameuse étude « observationnelle » que le Pr Raoult a présentée à Emmanuel Macron portait sur 1061 patients. A en croire son responsable, les résultats seraient excellents : près de 92% de malades guéris en dix jours, près de 5% de malades guéris « tardivement » et moins de 5% de « patients avec des complications ». Bref, il s’agit d’un « traitement sûr et efficace » affirme Didier Raoult.

Mais quand on se penche un peu plus près sur les détails de l’étude, la réalité est moins reluisante. Les « complications » en question, ce sont 31 patients hospitalisés pendant plus de dix jours, 10 transférés en soins intensifs et 5 décès. De grosses « complications » en effet…

Par ailleurs, le Pr Raoult n’a pas comparé les résultats sur des malades avec ou sans traitement – ce que les spécialistes appellent « étude avec groupe témoin ». Sachant qu’une guérison intervient spontanément dans 85% à 90% des cas, il est donc impossible de dire si la solution préconisée par Didier Raoult fait mieux, bien, rien ou moins que rien.

Plus gênant encore, l’étude souffre d’un nombre de biais impressionnant. Qu’on en juge : le Pr Raoult a testé plus de 3000 personnes, mais il n’en a retenu au final que 1061. Pourquoi ? Comment ? Sur quels critères ? Mystère. Dans 95% des cas, les 1061 ne souffraient que de formes légères de Covid – alors que dans la plupart des autres études on est plutôt à 80%. La proportion de femmes (53%) ne correspond pas à la réalité épidémiologique de l’épidémie de Covid, qui touche préférentiellement les hommes. Enfin, l’âge moyen des patients (43 ans !) est extraordinairement bas, puisque la quasi-totalité des décès survient chez les 85 ans et plus.

Dernière « curiosité » de cette étude : elle… n’existe pas ! En réalité, Didier Raoult s’est contenté d’en présenter un résumé succinct, sans mentionner les effets indésirables et sans la soumettre à des revues internationales, comme c’est la règle pour toute publication scientifique sérieuse.

Bref, cette étude n’est pas observationnelle. Elle n’a d’étude que le nom. Elle n’est pas éthique, elle n’a pas respecté les protocoles habituels, elle n’est pas rigoureuse. Ca fait beaucoup de la part d’un « grand scientifique », pour reprendre les termes employés par Emanuel Macron après sa visite à Marseille.

Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que cela fait des semaines que de nombreux chercheurs dénoncent le comportement de Didier Raoult. Et que toutes les institutions officielles le savent – L’ANSM, le Conseil de l’Ordre, l’Académie de Médecine, l’Inserm et j’en passe – sans que personne ne prenne ses responsabilités. Ce qui est grave, c’est qu’un Président de la République adoube un personnage peu scrupuleux en se faisant présenter des travaux qui ne sont pas sérieux. Ce qui est grave, c’est que des Français sont toujours convaincus que Didier Raoult est victime d’une cabale parce qu’il est marseillais, atypique, grande gueule et à contre-courant de la doctrine « officielle ». Oui, c’est grave docteur.