Lettre au Professeur Raoult
Source : Gettyimages

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Cher Professeur Raoult, Je représente sans doute tout ce que vous détestez : je ne suis ni virologue, ni médecin, ni scientifique. Pis encore, j’ai exercé pendant vingt-cinq ans la belle profession de journaliste, celle-là même que vous pourfendez régulièrement dans vos entretiens accordés… à des journalistes.

Au passage, vous avez beau critiquer les médias, vous semblez y prendre goût un peu plus chaque jour. Je n’ai pas lu toutes les interviews que vous avez données depuis une semaine mais elles se chiffrent par dizaines, sans compter la presse internationale. Mention spéciale tout de même à Paris Match qui, dans son dernier numéro, vous consacre sa Une et six pages élogieuses. Avec, cerise sur le gâteau, la photo de couverture de votre prochain livre.

Ca tombe bien : le livre en question, consacré au Covid, est disponible sur Internet depuis le 26 mars. Mieux encore, si j’en crois votre éditrice vous auriez rédigé cet opuscule de 90 pages en moins d’un mois. Bravo ! Je vous tire mon chapeau : lorsque le besoin s’en fait sentir, vous écrivez plus vite encore qu’un journaliste. Quant à savoir si c’est éthique et scientifiquement acceptable….

Mais revenons-en à l‘objet de cette lettre. Dans un post récent, j’ai fait part de quelques réflexions personnelles sur la chloroquine – plus exactement, sur la polémique que vous avez lancée et entretenue à propos de cette molécule. N’étant pas un expert sur le sujet, je me suis bien gardé de commenter son éventuelle efficacité. En revanche, j’ai trouvé légitime de m’interroger sur les conséquences, à court et à long terme, d’une telle surmédiatisation. Les jours suivants m’ont – malheureusement – donné raison. Très vite, les pharmacies ont vu débouler dans leur officine des clients munis d’ordonnances (parfois vraies, parfois fausses) mentionnant ce médicament. Résultat, les stocks ont été dévalisés. Au point qu’aujourd’hui, les patients atteints de lupus ou de polyarthrite rhumatoïde, ceux qui en ont médicalement besoin, ont du mal à s’en procurer.

Il est une autre conséquence de cette surmédiatisation. Vous préconisez la prise de chloroquine très tôt, dès le début de la contamination par le Covid 19. Vous ne pouvez pas ignorer cette réalité : actuellement, les tests ne sont pas disponibles en quantité suffisante. Dès lors, en encourageant un traitement précoce et sans suivi médical hospitalier, vous faites courir un risque réel et non négligeable à tous les Français qui suivraient vos recommandations. Est-ce éthique ? Est-ce scientifiquement acceptable ?

Au-delà des risques individuels, il y a les enjeux collectifs et politiques. Or,  de nombreux élus (Christian Estrosi, Renaud Muselier, Bruno Retailleau, Valérie Boyer…) ont pris fait et cause pour vous et « votre » chloroquine. Certains mauvais esprits (comme le mien !) ont d’ailleurs noté qu’ils étaient quasiment tous LR, et qu’ils en profitaient quasiment tous pour attaquer la politique d’Emmanuel Macron. Le problème, c’est que si ces politiques n’ont aucune légitimité médicale, ils ont encore une certaine légitimité médiatique. Et que dit un Christian Estrosi ? « J’étais malade. J’ai pris de la chloroquine. Aujourd’hui je vais bien. Faites donc comme moi. »

Tant pis si un seul exemple n’a aucune valeur statistique. Tant pis si, spontanément, 80% des personnes en contact avec le Covid en sortent spontanément et sans aucune séquelle. Ce que retiennent nombre de Français, c’est l’équation chloroquine = guérison. Et ce qu’ils en déduisent, c’est l’équation pas de chloroquine = danger de mort. Prendre ainsi l’opinion publique en otage, est-ce éthique ? Est-ce scientifiquement acceptable ?

Une dernière remarque : en proclamant que seule cette molécule est efficace contre le Covid 19, vous dissuadez certains malades d’entrer dans le seul essai clinique mondial qui se lance en ce moment. Pourquoi ? Parce que cet essai compare 5 stratégies thérapeutiques possibles. Concrètement, les patients n’ont donc qu’une chance sur 5 de recevoir de la chloroquine. Et ça, de nombreux malades le refusent. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce constat, ce sont les Pr Lescure et Yazdanpanah qui le font dans le Libération d’hier. Deux infectiologues reconnus, tout aussi renommés et expérimentés que vous. C’est ainsi, cher Professeur : que vous le vouliez ou non, en vous posant en victime du « système », vous encouragez les thèses complotistes. En critiquant le gouvernement, vous allez sur le terrain politique. En faisant preuve d’intransigeance, vous ralentissez la recherche. Est-ce éthique ? Est-ce scientifiquement acceptable ?