Covid19 : soigner les soignants


Je ne suis pas soignant. Mais j’échange régulièrement avec des professionnels de santé, je regarde la télé, je consulte les réseaux sociaux. Et ce que je vois, ce que j’entends, ce que je lis me font craindre le pire pour eux.
J’essaye de me représenter ce qu’ils ressentent en ce moment. J’imagine qu’ils sont à la fois tristes et en colère. Infatigables et épuisés. Impuissants et dans l’action permanente. Ce qui était déjà difficile en temps normal devient insupportable : trop de travail, trop de pression, trop de morts. Et même si cela ne va pas changer les choses, j’ai envie de leur dire : « Faites attention à vous. Prenez soin de vous, aussi. Essayez, autant que faire se peut, d’économiser vos forces. »
Car l’épidémie de Covid 19 va durer. Des semaines, des mois sans doute et le risque est grand que nos professionnels s’épuisent à mesure que le temps passera. C’est la raison pour laquelle je relaye cette initiative salutaire : la mise en place d’un numéro vert d’accompagnement et de soutien psychologique pour les soignants. Initié par l’association SPS (Soins aux professionnels en santé), ce projet coordonné par Philippe Denormandie, chirurgien orthopédique, est relayé par différents acteurs : l’Assurance Maladie, des ARS (Agences régionales de santé), la MNH (Mutuelle nationale des hospitaliers) ainsi que les médias du groupe de presse Profession Santé (Infirmiers.com, Décision Santé etc.). Il bénéficie également du soutien financier, discret mais précieux, de la famille Bettencourt-Meyers.
Concrètement, ce numéro vert (0 805 23 23 36) est ouvert 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. A l’autre bout du fil, une centaine de psychologues se relaient pour recueillir la parole des soignants et, au besoin, les réorienter vers l’un des 1 000 professionnels (psychologues, généralistes, psychiatres) disponibles par téléconsultation sur l’ensemble du territoire.
Pourquoi cette initiative est-elle si précieuse ? Parce que, pour connaître (un peu) le monde du soin, je peux témoigner de ce que les professionnels ont parfois du mal à parler de leurs doutes, de leurs difficultés, de leurs angoisses. Par pudeur ou par lassitude. Parce qu’ils ne veulent pas montrer de « faiblesse » devant leurs collègues. Parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas le droit de « se plaindre » – au motif qu’ils côtoient en permanence des personnes malades alors qu’ils sont, eux, en bonne santé.
Or être en bonne santé, cela passe par une bonne santé physique et psychique. Et c’est peu dire que l’hôpital ne favorise ni l’un, ni l’autre… En raison de la pénibilité du travail tout d’abord : horaires décalés, travail de nuit (33% des salariés à l’hôpital contre 16% dans la population générale) ou le dimanche (64% versus 30%), port de charges lourdes (73% versus 40%) y sont monnaie courante.
En raison des conditions de travail générales ensuite : plus qu’ailleurs, le personnel hospitalier doit régulièrement « calmer les gens » (85% versus 54%), rester « en station debout prolongée » (79% versus 50%). Et, plus globalement, s’accommoder d’un manque d’autonomie regrettable et d’un mode de management parfois proche de la maltraitance.
Enfin, l’hôpital ne favorise pas la santé de son personnel parce qu’il ne lui donne pas le sentiment de pouvoir effectuer correctement son travail. Et là, on touche à la question « du sens » de son métier, de sa vocation. Cette question conditionne la bonne santé psychique dont je parlais plus haut. Faute de réponse satisfaisante, elle engendre frustration et désespérance – et plus encore dans cette période où les soignants manquent de tout, à commencer par des masques et des sur-blouses de protection.
En 2017, on estimait à 40% la proportion de personnel soignant menacé par le burn-out. Je n’ose imaginer ce qu’il en est aujourd’hui. Puisse ce numéro vert offrir, ne serait-ce qu’à quelques-uns, un espace pour parler, pour s’épancher. Et pour se protéger de ce burn out qui menace plus que jamais.