« Ma » solution pour les Français sans médecin traitant

Petit exercice de maths : sachant que l’on compte environ 100 000 généralistes pour 52 millions de Français de plus de 15 ans, combien de patients se partagent un même médecin traitant ? A priori, la réponse devrait se situer autour de 520, ce qui est déjà considérable. Or, la réponse est… 850 ! Oui, vous avez bien lu : en moyenne, un généraliste suit 850 patients. Ce chiffre, révélé par Nicolas Revel, le directeur de la CNAM dans une interview récente au Généraliste, me laisse pantois.

L’explication est simple : même si le principe du médecin traitant est inscrit dans la loi depuis 2004,  même si les assurés sociaux sont tenus d’en déclarer un pour être bien pris en charge, les généralistes n’ont aucune obligation en la matière. Du coup, un certain nombre d’entre eux s’affranchissent allègrement de cette mission de service public. Quant aux autres, ils ont tellement de patients qu’ils n’en acceptent pas de nouveaux. Difficile effectivement de faire de la médecine de qualité quand on en a déjà 850.

En novembre dernier, la revue UFC Que choisir a testé plus de 2 770 généralistes dans la France entière . Résultat : 44% d’entre eux refusent tout patient supplémentaire, et même 86% en Seine-et-Marne ! Les conséquences sont dramatiques. Aujourd’hui, près de cinq millions et demi de Français n’ont pas de médecin traitant et sont donc, en principe, moins bien remboursés pour leurs dépenses de santé (30% au lieu de 70%). Demain la situation sera pire encore car le nombre de généralistes ne cesse de baisser – 87 800 en 2018, contre 94 200 en 2010. Et ce ne sont pas les quelque 500 assistants médicaux embauchés cette année, censés soulager les médecins des tâches de paperasserie et autres, qui suffiront à absorber cette demande massive…

Mais à quoi sert, en définitive, un médecin traitant ? Au-delà de la pose d’un premier diagnostic, il est le pivot de notre système de santé. Et le sera davantage encore demain puisque « l’enjeu majeur des prochaines années sera d’améliorer la prévention et de renforcer le suivi des pathologies chroniques ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Nicolas Revel dans Le Généraliste. Oui mais voilà : la moitié de ces 5,5 millions de Français cherchent et ne trouvent pas de généraliste et, parmi eux justement, une proportion importante a plus de 70 ans et/ou est atteinte de maladie chronique.

Et si « on » (c’est-à-dire les Français, les médecins, les pouvoirs publics) regardait la réalité en face, à savoir que les généralistes ne sont pas, ne sont plus en mesure de répondre à ces missions essentielles ? Et si on acceptait l’idée que pour ceux qui ne trouvent pas de médecin traitant, le fait d’avoir un « référent Santé » serait à tout prendre un moindre mal ? Bref, et si on autorisait d’autres professionnels de santé à s’occuper du suivi au long cours et de la prévention des malades chroniques ?

Parmi ces professionnels, deux catégories semblent tout désignées : les pharmaciens et les infirmiers en pratique avancée (IPA), un métier récent et aux responsabilités élargies. Concrètement, cela pourrait se passer de la façon suivante : sur la base d’un double volontariat, le patient désignerait son « référent Santé », et celui-ci effectuerait certaines tâches précises. Des  exemples ? Favoriser l’observance des traitements médicamenteux prescrits ; vérifier la mise à jour des vaccins ; donner des conseils d’hygiène et de nutrition adaptés ; encourager les dépistages ; assurer la coordination avec d’autres professionnels de santé (spécialistes, kinés, ophtalmos..) et bien d’autres choses encore.

En retour, le référent Santé percevrait un forfait annuel par patient. Il s’engagerait bien entendu à remplir ces missions dans la durée et de façon systématique, et le montant de ce forfait serait défini en fonction du niveau de bénéfice attendu pour le patient comme pour la collectivité. Mais, au-delà du strict aspect financier, le référent Santé serait aussi, voire surtout, l’interlocuteur privilégié vers lequel le patient se tourne en premier. Y compris pour avoir des réponses aux questions que, par pudeur ou peur de paraître imbécile, il n’ose pas poser à d’autres professionnels de santé.

Dans les faits, pour nombre de Français, l’interlocuteur privilégié pour les questions de santé, c’est bien souvent un pharmacien ou un infirmier. Parce qu’on le voit plus régulièrement que le médecin, parce que c’est à lui que l’on se confie spontanément. Et qu’en général il connaît bien le parcours de soins de ce patient-là, ainsi que les professionnels médicaux et paramédicaux qui le prend en charge en cas de besoin. Bien sûr, j’insiste, la désignation d’un référent Santé se ferait uniquement sur la base d’un double volontariat, dans des relations de confiance fortes et répétées. Et, dans un premier temps, dans le cadre d’une expérimentation encadrée et limitée. Avant, peut-être d’élargir le champ d’application.

Je me doute qu’une telle proposition risque de braquer les généralistes. De réveiller quelques combats syndicaux d’arrière-garde. De ne pas résoudre tous les problèmes. Pour autant, même si elle n’a pas vocation à se substituer au principe du médecin traitant, cette idée de « référent Santé » constituerait une solution alternative. Une solution peut-être temporaire, sûrement pas idéale, mais qui répond en tout cas à des besoins réels – et urgents ! – des usagers de santé. Alors chiche ?