Vincent Lambert : ma réponse à Houellebecq

Avoir eu le Prix Goncourt n’autorise pas à dire n’importe quoi. Dans sa tribune du Monde le 12 juillet,  Michel Houellebecq accumule inexactitudes, contre-vérités et délires en tous genres. Comme quoi on peut être un bon écrivain mais un piètre raisonneur. Florilège à travers quelques citations.

 

« S’il commence à y avoir trop de Vincent Lambert ça va coûter un pognon de dingue (on se demande bien pourquoi : une sonde pour l’eau, une autre pour les aliments, ça ne paraît pas mettre en avant une technologie considérable ».

Il faut être sot ou ignorant, M. Houellebecq, pour proclamer de telles bêtises. La prise en charge d’un patient comme Vincent Lambert nécessite un appareillage lourd (mesure du rythme cardiaque, du taux d’oxygène dans le sang etc.). Elle nécessite aussi des soins quotidiens (toilette, prévention des escarres etc.) et une surveillance continue du personnel médical pour réagir à la moindre alerte. Faute de quoi le patient risque de décéder rapidement ou, à l’inverse, de souffrir inutilement. Est-ce vraiment cela que vous souhaitiez pour Vincent Lambert ?

 

« Dans certaines circonstances de ma vie, j’ai été prêt à tout, à supplier qu’on m’achève, qu’on me pique, tout plutôt que de continuer à supporter ça. Et puis on m’a fait une piqûre (de morphine) et mon point de vue a changé du tout au tout. {…} Comment certains médecins osent-ils refuser la morphine ? Ont-ils peur par hasard que leur agonisants deviennent accros ? »

Non M. Houellebecq, la morphine n’est pas la solution miracle à la douleur. Certaines personnes ne la supportent pas ; chez d’autres, elle n’a pas assez d’effets. Enfin, puisque vous l’ignorez manifestement, sachez que si la morphine est en effet utilisée pour atténuer les souffrances, elle peut l’être aussi aussi pour les abréger car elle provoque parfois une détresse respiratoire qui, elle, entraine la mort.

 

« Vincent Lambert, infirmier {…} aurait dû savoir, mieux que tout autre, que l’hôpital public avait autre chose à foutre que de maintenir en vie des handicapés (aimablement requalifiés de « légumes ») »

Non M. Houellebecq, l’hôpital public n’a pas « autre chose à foutre » et affirmer le contraire, c’est désobligeant et, pour tout dire, parfaitement dégueulasse vis-à-vis de ces milliers d’hommes et de femmes qui se dévouent quotidiennement pour prendre en charge les « légumes » dont vous parlez.

 

« J’aurais dû me méfier d’Agnès Buzyn {…} elle n’a même pas précisé dans quel sens devaient aller les directives anticipées, tant ça lui paraissait  aller de soi »

Encore heureux, M. Houellebecq, qu’elle n’ait rien précisé ! Si elle n’a pas donné de « conseil », c’est parce que ce n’est pas le rôle d’une ministre de dicter les consciences. Sans doute considère-telle que chacun est libre de décider ce qu’il souhaite pour lui-même. Votre procès d’intention est ici malvenu.

 

« Il n’était en proie à aucune souffrance du tout. Il n’était même pas en fin de vie. »

Mais d’où tenez-vous ça M. Houellebecq ? Vous ne savez rien de son éventuelle souffrance, personne n’en sait rien. Quant à savoir s’il était ou non en fin de vie, c’était le principal point de désaccord entre sa femme et ses parents. Pour elle, Vincent Lambert était en état végétatif et maintenu en vie contre son gré. Pour eux, Vincent Lambert était pauci-relationnel, c’est-à-dire qu’il avait une conscience, même diminuée et qu’il souhaitait rester en vie.

 

« Vincent Lambert est mort d’une médiatisation excessive, d’être devenu malgré lui un symbole »

Oui M. Houellebecq, il était devenu un symbole : celui d’une société démunie devant la mort, et qui espérait sans trop y croire qu’un texte de loi suffirait à départager une famille déchirée. Et non Vincent Lambert n’est pas mort de médiatisation. C’est, au contraire, la médiatisation qui a retardé sa mort, une médiatisation entretenue par les parents et leurs multiples recours juridiques.

 

« L’État français a réussi à faire ce à quoi s’acharnait, depuis des années, la plus grande partie de la famille Lambert : tuer Vincent Lambert {…} Il s’agissait, pour la ministre de la Santé, de faire un exemple »

Non M. Houellebecq, l’État n’a pas fait un exemple. Il a mis fin à l’instrumentalisation politique et religieuse d’une tragédie familiale. Vous le reconnaissez vous-même : sa femme et la grande majorité de ses demi-frères et sœurs désiraient respecter ce qui était, à les en croire, la volonté de Vincent Lambert. Qu’y a-t-il de dérangeant pour vous à reconnaître ce fait ?

 

« Il paraît évident à peu près à tout le monde que, la dignité {…} ne peut en aucun cas être altérée par une dégradation, aussi catastrophique soit-elle, de son état de santé ».

Non M. Houellebecq, tout le monde ne pense pas comme vous. Interrogez des polyhandicapés, des personnes très âgées ou fortement dépendantes. Peut-être vous raconteront-elles l’humiliation à avoir besoin des autres pour la quasi-totalité des actes de la vie courante tels que boire, uriner, manger, bouger. Peut-être vous expliqueront-elles la rage ou le sentiment d’impuissance à devoir attendre des heures sur un lit, avec des escarres et de la merde sur le corps.

 

M. Houellebecq, vous prétendez défendre Vincent Lambert mais en réalité je crois plutôt que vous lui prêtez vos propres sentiments. Vos peurs et vos révoltes, votre angoisse de mort. Vous prétendez parler en son nom ? Vous ne parlez que de vous.