Homéopathie : de qui se moque-t-on ?

Ainsi donc, à en croire le Journal du Dimanche paru hier, « la décision est prise : les produits homéopathiques seront déremboursés », peut-on lire au début de l’article… pour apprendre quelques lignes plus loin qu’en réalité, le déremboursement consisterait à baisser le taux en question de 30% à 15% ! Je ne sais pas quel conseiller a pu « enfumer » les journalistes pour présenter cette décision de la sorte, mais franchement, de qui se moque-ton ?

Saisie par la ministre de la Santé en mars dernier, la haute Autorité de Santé (HAS) avait pourtant émis des recommandations on ne peut plus claires – et argumentées. Trois mois durant, elle a épluché plus de 1000 publications scientifiques ; elle s’est intéressée à 1200 médicaments homéopathiques ; elle a étudié 24 affections précises (troubles de l’anxiété, verrues plantaires, infections respiratoires aiguës chez l’enfant etc.) ; enfin elle a analysé les arguments présentés par les laboratoires.

Son verdict est sans appel : aucune étude n’apporte la preuve scientifique de l’efficacité de l’homéopathie dans les affections considérées ; aucune étude de permet de conclure à l’amélioration de la qualité de vie des patients. Pas davantage de preuve sur l’impact de ces médicaments, que ce soit en positif (baisse de la consommation d’autres médicaments, diminution du nombre d’hospitalisations) ou en négatif (retard à la prise en charge par d’autres traitements « classiques »). Et la HAS d’enfoncer le clou : « L’objectif est de sortir de la culture du « tout médicament » et de savoir recourir aux approches préventives ou thérapeutiques non médicamenteuses ». Fermez le ban. Bref, les médicaments homéopathiques « n’ont pas une efficacité suffisante pour être remboursés ».

Agnès Buzyn s’étant engagée à suivre les conclusions de la HAS avant même le début de ses travaux, plus rien ne s’oppose donc désormais à ce que cette décision soit mise en œuvre. Quand et comment ? Elle devrait être annoncée d’ici la fin de la semaine, mais les atermoiements de la ministre et les signaux envoyés à travers le JDD me font craindre le pire. Conserver le principe du remboursement, même à un taux réduit, serait désastreux à plus d’un titre.

Sur le plan politique, ce serait désavouer la ministre, déjà fragilisée par sa non-désignation comme tête de liste aux Européennes. Agnès Buzyn n’a pas vraiment pas besoin de cette humiliation inutile, qui entamerait profondément sa légitimité : s’il suffit de s’adresser à l’Élysée pour avoir gain de cause, comme le fait Boiron aujourd’hui, demain tous ses autres interlocuteurs (les syndicats professionnels, Big Pharma, internes, urgentistes…) lui emboiteront le pas.

Sur le plan sanitaire, ce serait tout aussi désastreux. S’asseoir sur les recommandations de la HAS, c’est ignorer son travail. Et donc, par là-même, mépriser son approche rationnelle, à la fois scientifique et médicale des enjeux de santé. Or, c’est exactement ce que disent les partisans de l’homéopathie : celle-ci, nous expliquent-ils en substance, ne peut se soumettre aux règles scientifiques normales d’une évaluation car « tout est affaire de terrain ». Le problème, c’est que ce genre d’arguments peut servir à justifier tout un tas de dérapages – remettre en cause l’utilité des traitements classiques dans le cancer par exemple, voire parler de « vaccin » homéopathique contre la grippe ou, pire encore, contester le principe même de la vaccination. Dans ce climat nauséabond de suspicion envers la médecine « classique », le maintien du remboursement risque fort d’encourager les fantasmes et les fake news en tout genre. Est-ce vraiment ce que souhaite Emmanuel Macron ?

Sur le plan économique enfin, céder aux exigences de Boiron et à son chantage au chômage, c’est envoyer un signal dangereux à savoir : l’emploi passe avant la santé. Au passage d’ailleurs, à supposer même que les inquiétudes du laboratoire soient justifiées, le prix à payer serait bien élevé : aujourd’hui, l’Assurance Maladie rembourse aux alentours de 120 millions d’euros chaque année. Pour sauver les 1500 salariés menacés, il faudrait donc renoncer à ces 120 millions, ce qui représente à peu près 80 000 euros par salarié et par an. Est-ce à la société tout entière de payer à la place de Boiron ?

De façon plus générale, les arguments de ce même Boiron pourraient prêter à sourire si les enjeux n’étaient aussi graves… Résumons. Premier argument : les médecins homéopathes écoutent davantage leurs patients et leur proposent des solutions « sur mesure ». Dérembourser les granules risquerait de jeter la suspicion sur ces professionnels compétents. Mais, que je sache, leurs prescriptions ne sont pas interdites et ces consultations continueront à être remboursées.

Deuxième argument : le prix des médicaments homéopathiques est faible et il pèse peu dans les dépenses de la Sécu. Mais s’il pèse peu sur la Sécu, il pèsera tout aussi peu sur les patients ! 120 millions d’euros pour 20 millions de Français environ (30% d’entre eux disent en consommer régulièrement), cela fait 2 euros en moyenne par personne. Est-ce vraiment un coût excessif ?

Troisième argument, avancé avec l’Hashtag « MonHoméoMonChoix » : le déremboursement pèserait sur la liberté de choix des patients. Sauf que ces granules resteront disponibles sur le marché et il n’a jamais été question de les interdire. Pour un laboratoire qui promeut la transparence et la responsabilisation des citoyens, voilà une bien curieuse manière de répondre à la polémique – polémique largement provoquée, on l’a oublié depuis, par les tenants de l’homéopathie. Car si tout a commencé par une tribune de médecins opposés à l’homéopathie parue dans Le Figaro, tout a surtout été amplifié par la réaction de certains homéopathes, qui n’ont rien trouvé de mieux que d’aller porter plainte contre leurs confrères devant le Conseil de l’Ordre, au motif de « non confraternité » !

Je suis d’autant plus surpris par la violence des labos qu’en définitive, je ne suis pas sûr que le déremboursement serait si dommageable pour eux. Si, comme ils le prétendent, les patients sont réellement convaincus de l’utilité et de l’efficacité de leurs granules, ils devraient eu toute logique continuer à en prendre. Et si ces granules ne sont plus remboursés, les labos pourront faire toute la publicité qu’ils veulent, et sans aucune contrainte réglementaire. Mieux encore, ils seront entièrement libres de fixer le prix de vente. Avec, au final, des perspectives économiques réjouissantes. Alors, chiche ?…

Un dernier mot tout de même, pour ne pas finir sur une note (trop) légère. Quand j’ai fait part de ma colère hier à la lecture du JDD, ma compagne m’a répondu qu’il fallait « choisir ses combats ». Après réflexion, je pense que ce combat mérite d’être mené. Pour la raison suivante : la parole d’un Président de la République porte toujours. Et plus encore quand il prétend parler au nom des électeurs. Affirmer « l’homéopathie est populaire, il ne faut pas emmerder les Français » (citation dans le JDD) c’est démagogue ; affirmer « Je bois du vin midi et soir. Je crois à la formule de George Pompidou n’emmerdez pas les Français » c’est démagogue et pire encore : irresponsable. Les Français, comme dit Emmanuel Macron, méritent mieux que ça.