La fin du salaire, le début du bonheur?…

J’ouvre Le Figaro hier et je tombe sur cette prophétie de ce que pourrait être le monde merveilleux de l’entreprise à la sauce libérale: « en 2050, écrit Gaspard Koening, philosophe et fondateur du think-tank Génération libre, il n’y aura plus de chômage car il n’y aura plus d’emploi. Chacun s’adonnera à une palette d’activité : auto-activités, activités en partage, activités multiples, se chevauchant dans le temps et dans l’espace ».

Un peu plus loin: « Les humiliantes « phases de recherche d’emploi » seront remplacées par de simples périodes de sous-activité, auxquelles se succéderont des pics de suractivité. On ne pose plus de vacances: on s’offrira des jours de connexion […] L’existence deviendra ainsi un continuum où la distinction du travail et du loisir s’effacera ».

Je ne connais pas ce (jeune) homme ni son parcours professionnel mais j’ai du mal,  je l’avoue, à comprendre sa fascination pour une société où le travail deviendrait, quoi qu’il en dise, la notion centrale. Où la recherche d’emploi serait nécessairement humiliante, mais l’échec dans cette quête facile à vivre. Où le chômage disparaitrait pour devenir justement « une simple période de sous-activité » – ah! le gentil euphémisme censé adoucir la réalisé.

Au passage, je note que Gaspard Koening part d’un présupposé qui mériterait, à tout le moins, d’être questionné. D’où tient-il pour acquis, par exemple, que le monde en 2050 serait celui d’un plein emploi potentiel? Quelle serait la marge de manœuvre réelle d’un « sous-actif » (puisque le chômage n’existe plus!) dans un marché du travail contraint? Où est la liberté de choix de celui qui cherche mais ne trouve pas? Et de quoi vivront les malheureux « déconnectés »? En tout cas pas d’un revenu universel « sous forme d’impôt négatif » qu’il appelle de ses vœux.

Enfin, loin de me fasciner, ce monde où « la distinction du travail et du loisir » s’efface me fait peur. De nombreux experts l’ont souligné avant moi: lorsque les frontières sont floues, cela bénéficie rarement aux salariés. Sur-engagement, volonté de bien faire, investissement maximal, absence de limite du temps consacré au travail par rapport aux loisirs: dans les faits, un mi-temps par exemple est souvent plus qu’un mi-temps. Et les loisirs, souvent sacrifiés au profit (si j’ose dire) de la rentabilité. Autant dire que ce monde où n’existeront ni filet de sécurité, ni protection sociale généralisée ni même de sentiment collectif, ce monde-là est à mes yeux tout, sauf un monde de progrès.