Amazon veut « sauver » la Sécu ! Juré…

Quand j’ai entendu la nouvelle la semaine dernière, elle m’a intrigué. Depuis, elle me trotte dans la tête ; suffisamment en tout cas pour que j’aie envie de partager mes réflexions dans ce post. La nouvelle en question, c’est celle-ci : Amazon, Berkshire Hathaway et JPMorgan lancent une structure commune qui s’occupera de la santé de leurs salariés. Dit autrement, le plus grand supermarché du monde, la première banque des États-Unis et la holding de Warren Buffett vont créer une sorte de super mutuelle réservée à leur personnel.

La raison d’être de cette structure ? Trouver « des solutions technologiques qui fourniront aux employés des services de soins simplifiés, de haute qualité et transparents à un coût raisonnable » selon les termes du communiqué de presse. C’est beau comme une profession de foi.

Je suis peut-être d’une nature suspicieuse, mais j’ai du mal à adhérer à la posture de l’entreprise « soucieuse-avant-tout-du-bien-être-de-ses-salariés ». Et je ne parle même pas du « bonheur dans l’entreprise », cette injonction à la mode qui ignore, me semble-t-il, le réel, à savoir qu’une entreprise a pour vocation de dégager des profits. En cela, je comprends qu’une entreprise se préoccupe de la santé de ses employés, y compris pour des raisons « bassement » financières : un employé malade, épuisé, en arrêt de travail fréquent, c’est un employé moins rentable. De même, un employé obèse, diabétique, fumeur (et je mélange à dessein des situations qui n’ont rien à voir), c’est un employé potentiellement moins productif que la moyenne.

D’où le succès actuel de toutes ces actions visant à améliorer l’état général des salariés : vaccination contre la grippe, cours de yoga ou abonnement à des salles de sport, repas diététiques à la cantine etc. Jusqu’à des initiatives plus originales, telle ces programmes de sensibilisation à l’alcool ou aux drogues menés dans de grandes entreprises comme Renault. A mi-chemin entre santé individuelle et collective, responsabilité économique et sociétale, l’entreprise a effectivement tout à y gagner.

D’où vient alors ma réticence, pour ne pas dire plus, devant l’annonce d’Amazon et consorts ? De fait, c’est un peu la même démarche qui, en France, avait conduit dans les années 60 l’Éducation Nationale à proposer aux instituteurs une mutuelle spécifique, la MAIF. De fait aussi, les coûts liés à la santé atteignent aux États-Unis un seuil critique : 3 300 milliards de dollars par an, 8% du coût total d’un employé pour l’employeur – et 20% d’augmentation en cinq ans pour les familles !

Sur le papier, rien à redire donc. Sauf que… Sauf qu’une entreprise n’étant pas philanthrope par nature, il y a forcément un « retour sur investissement » attendu. Reste à savoir lequel. Le profil des salariés d’Amazon permet d’apporter quelques éléments de réponse : ces derniers sont en effet plus jeunes que la moyenne – ce qui signifie qu’ils sont, toujours en moyenne, en meilleure santé que le reste de la population. En outre, ils sont souvent intérimaires et, partant, moins exigeants sur les conditions de travail. En d’autres termes, ces trois entreprises bénéficient de biais de sélection – puisque les salariés en bonne santé payent pour les salariés en bonne santé, soit l’exact contraire du principe d’une mutuelle, où les plus protégés payent en quelque sorte pour les plus fragiles.

Deuxième élément de réponse : pour être assuré, ce fameux retour sur investissement doit être prévisible, calculable. Il suppose ainsi que les salariés acceptent, bon gré mal gré, les propositions/recommandations/incitations de leur employeur, à savoir adopter un mode de vie plus sain. Et s’ils le font, ce qui est probable, Amazon, JPMorgan et Berkshire auront effectivement moins de dépenses de santé à assumer tandis que l’Etat, lui , continuera à s’occuper des chômeurs et des vieux.

Troisième élément de réponse : certaines entreprises offrent déjà un bonus à ceux qui ne fument pas, qui font du sport, qui perdent du poids… Mais là, on change de dimension : avec les objets connectés actuellement disponibles, ces données faciles à obtenir, y compris dans la durée, permettront si besoin de vérifier les bonnes résolutions de chacun. Autant dire qu’il ne sera pas compliqué, demain, d’imposer des surprimes (l’équivalent inversé des bonus) à tous ceux qui ne respecteraient pas leurs engagements.

Le 4ème élément de réponse découle du précédent : sans verser dans la paranoïa galopante, ces éléments constituent une extraordinaire base de données sur l’état de santé global, mais aussi sur le comportement, voire l’activité physique ou l’alimentation de centaines de milliers d’individus (240 000 salariés dans le monde pour JPMorgan, 316 000 pour Berkshire, 340 000 pour Amazon !). Or, ces données ont une valeur à la fois intrinsèque (pour les personnes concernées) et extrinsèque (en tant qu’échantillon à la fois large et représentatif).

Mais à qui appartiennent ces données ? Aux salariés ? A l’entreprise ? Et pour quels bénéfices ? Il faudrait être naïf pour croire que les bénéfices en question iront exclusivement aux salariés. Et pour espérer que ces trois géants de l’économie ne cèderont pas à la tentation de valoriser les informations ainsi obtenues. « Les employés veulent la transparence, la connaissance et le contrôle quand il s’agit de gérer leurs dépenses de santé ». C’est le président de JPMorgan qui le dit. Je veux bien le croire. Curieusement, je crois un peu moins que JPMorgan en fasse sa priorité numéro Un…