Faut-il dérembourser l’homéopathie ?


Mais qu’est-il arrivé à Agnès Buzyn ? Que s’est-il passé pour qu’en avril, la ministre de la Santé déclare que l’homéopathie a « probablement un effet placebo (mais) si ça continue à être bénéfique sans être nocif, ça continuera à être remboursé » ? Et qu’elle précise la semaine dernière que « si c’est utile ça restera remboursé, si c’est inutile ça arrêtera de l’être » ?
Ne voulant pas aller sur le terrain politique, je vais en rester aux faits et à la science. Or, à en croire les partisans de l’homéopathie les faits, justement, ne souffriraient pas de contestation : l’homéopathie est efficace parce que… elle est efficace ! Et comme elle est mal prise en charge (à 30% s’il y a ordonnance) et qu’elle ne coûte pas cher, ce serait pure folie que de la dé-rembourser. Au passage, je note une certaine contradiction dans cette logique : soit elle est efficace, et elle devrait être remboursée comme un « vrai » médicament. Soit elle ne l’est pas, et son remboursement n’a aucune légitimité.
Reprenons calmement. Peut-on, doit-on évaluer scientifiquement l’homéopathie ? Surtout pas ! Elle ne saurait être étudiée comme n’importe quel autre traitement, tout simplement parce qu’elle est in-di-vi-du-a-li-sée, clament ses adeptes. Impossible donc de faire des études dites « en double aveugle » (dans lesquelles ni le patient ni le médecin ne savent ce qui est prescrit, un médicament ou un simple placebo, c’est-à-dire une substance neutre sans effet thérapeutique). De toute façon, ajoutent-ils, elle marche même chez les animaux et les nourrissons – des êtres insensible à l’idée même d’un placebo.
A cela, je répondrais deux choses. La première, c’est que le simple fait qu’une substance à dose infinitésimale (avec rien ou presque) puisse avoir un effet me semble aussi saugrenue que la fameuse « mémoire de l’eau » de M. Benvéniste. Surtout quand on nous explique que cet effet varierait selon la concentration ! Un « rien » aurait donc une action, et un « trois fois rien » une autre action, plus forte ? Voilà qui heurte mon esprit bêtement rationnel. Et quand bien même l’homéopathie serait in-di-vi-du-a-li-sée (on ne cesse de nous le répéter), en quoi serait-ce un obstacle à une étude en double aveugle ? Après tout, on pourrait faire deux lots, l’un de granules blancs « sans rien du tout » et l’autre « avec presque rien ». Le médecin prescrirait alors en toute ignorance l’un des lots et on verrait alors si le second fait réellement mieux que le premier. Chiche ?…
Venons-en maintenant à l’autre justification des pro-homéopathie : à supposer que ce soit peu efficace, et ça ne coûte pas cher et ce n’est pas dangereux. Dans ces conditions, autant continuer. Oui mais. En mai dernier, le Conseil scientifique de l’Académie des sciences européennes dénonçait justement « le manque de contrôle de la production et les problèmes potentiels de sécurité ». Il pointait également un autre danger, à savoir le retard de prise en charge médicale en cas d’infection potentiellement grave – rappelons qu’en Italie, une enfant est en 2017 morte après une otite (mal) soignée par homéopathie.
Quant à l’argument du faible coût… L’homéopathie, cela représente en France, chaque année, 620 millions d’euros dépensés. Excusez du peu ! Certes, seule une faible part est effectivement remboursée : 128 millions, selon une estimation de l’Assurance Maladie remontant à 2016. Une goutte d’eau par rapport aux dépenses de santé (190 milliards par an !) et même par rapport au total des médicaments (31 milliards). Mais une goutte en trop quand même. Certes aussi, les Français adorent les granules, puisque 56% d’entre eux en avalent régulièrement. Curieusement d’ailleurs, le pourcentage de nos concitoyens qui prennent tous les jours (oui, vous avez bien lu : tous les jours) au moins un médicament est quasiment le même : 57%.
Alors, comment expliquer ce particularisme hexagonal ? La réponse tient peut-être dans cet autre chiffre issu de l’Assurance Maladie : sur les 128 millions d’euros remboursés en homéopathie, seuls 40% sont dus à l’achat de boites. La majorité des dépenses (72 millions) provient de préparations magistrales élaborées spécifiquement. En d’autres termes, un « médicament fabriqué exprès pour moi rien que pour moi ». Le rêve de tout patient en quelque sorte.
Car j’en suis convaincu : nous, Français, entretenons un rapport « magique » au médicament. Et cela, pour des raisons historiques et sociologiques avant d’être économiques ou idéologiques. En effet, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre ou la Suisse, où l’industrie pharmaceutique provient de grands groupes de chimie (Novartis, Roche, Bayer…), notre industrie nationale est issue des pharmacies d’officine (exemple emblématique : Pierre Fabre). D’un côté donc, les principes actifs et la science. De l’autre, le sur-mesure et ces fameuses préparations magistrales mystérieuses. C’est Panoramix contre Fleming, la poudre de Perlimpinpin contre la molécule.
Résultat : en France, nous ne prenons pas un anxiolytique ou un anti-hypertenseur, nous avalons un comprimé dont l’apparence (rose ou blanc, rond ou ovale) compte autant que l’indication initiale. Et nous le faisons à notre manière : les uns divisent la dose par deux, les autres arrêtent le traitement à mi-parcours ou le prolongent à loisir – sans compter ceux qui se les refilent en famille ou entre amis au motif que « j’ai eu un truc semblable il y a un an… »
Quoi d’étonnant, dès lors, que nous soyons si attachés à l’homéopathie, cette quintessence du médicament ésotérique, voire thaumaturgique ? D’autant qu’il faut bien le reconnaître : les homéopathes prennent en général plus de temps que les autres en consultation. Ils interrogent davantage, ils étudient « le terrain » du patient, tiennent compte de l’environnement. Bref, ils se comportent comme d’excellents professionnels – qu’ils sont, le plus souvent. Et si c’était ça, en fin de compte, le vrai mérite de l’homéopathie : rappeler qu’un bon médecin est avant tout un médecin à l’écoute et empathique ?…