Santé connectée : le meilleur… ou le pire

François Hollande se met au sport. Si si ! Je le tiens de Michel Cymes qui l’a rencontré récemment en tête à tête et qui m’a raconté comment, sur ses conseils, le Président a acheté un nouveau smartphone car le sien était trop vieux pour intégrer ce genre d’applis… Hollande va donc se mettre « en marche » (rien à voir avec Macron) et vérifier grâce à son nouveau téléphone connecté s’il fait (ou non) ses 6 000 pas quotidiens.

A ceux (ils ne sont sans doute pas nombreux) qui n’en auraient jamais entendu parler, je rappelle qu’un objet connecté permet de recueillir des données de santé au sens large et de les transmettre automatiquement et à un serveur informatique. Concrètement, cela va de la balance « intelligente » au podomètre, en passant par des brosses à dents, des tensiomètres ou même des patchs. On imagine aisément le bénéfice thérapeutique – potentiel – de leur utilisation à grande échelle.

Aux États-Unis, où le libéralisme est roi et l’idée même de Sécurité Sociale quasi inexistante, les assureurs ne s’y sont pas trompés. La firme John Hancok promet par exemple jusqu’à 15% de réduction de primes à ceux qui améliorent significativement leur hygiène de vie avec ces appareils. De son côté Oscar, le petit nouveau sur le marché (la start-up a pris en quelques mois 10% des parts de marché à New York !) fournit ses adhérents en podomètres et offre un dollar par jour à tous ceux qui font au moins 5 000 pas quotidiens.

En France, le marché s’avère tout aussi prometteur. Harmonie Mutuelle a signé ce mois-ci un partenariat avec Orange ; Malakoff Médéric a investi près 1,5 millions d’euros dans une start-up spécialisée, tandis qu’Axa lance régulièrement de nouveaux programmes réservés à ses adhérents.

Pour le patient-consommateur, l’intérêt est évident. Il peut en effet savoir avec précision le nombre de calories ingérées dans la journée, mais aussi contrôler en temps réel sa glycémie ou sa tension artérielle – donc, mieux se prendre en charge. Et devenir ainsi, selon la formule consacrée, « acteur de sa propre santé ».

Pour le médecin aussi, ces objets peuvent être utiles, puisqu’ils fournissent des données fiables et précieuses dans la durée sur l’état de santé de son patient sans même qu’il ait besoin de le voir toutes les semaines.

Pour le « payeur » enfin (Sécu, mutuelles, assurances privées) c’est la promesse d’une meilleure prévention et donc, à terme, d’une baisse globale des remboursement liés en particulier aux maladies chroniques.

Sur le papier donc, tout le monde est gagnant. D’où viennent alors mes réticences personnelles, mon appréhension même devant ces progrès apparents ? De cette intuition : les notions de bien public et de santé collective n’ont pas grand chose à voir avec l’idée de profit. Or, dans le modèle capitaliste, de la prévention à la coercition, de l’encouragement à la menace, il n’y a souvent qu’un pas.

De fait, sans vouloir jouer les Cassandre, combien de temps faudra-t-il pour qu’un assureur privé ou qu’une mutuelle fasse le tri entre les « bons » et les mauvais adhérents ? Pour qu’il impose demain des surprimes aux malades trop souvent malades ? Et je ne parle même pas des fumeurs, des buveurs excessifs ou des personnes en surpoids. Ni des patients qui auraient l’outrecuidance de ne pas respecter les recommandations de leur médecin – ce qui sera facile à vérifier grâce justement à ces objets connectés. Vous n’avez pas fait votre promenade quotidienne, vous avez oublié de prendre votre tension ? Ce sera 5% de malus le mois suivant.

Voilà pourquoi il me semble essentiel que les patients restent propriétaires de leurs données personnelles et que les pouvoirs publics « gardent la main » sur la gestion de ces données. Faute de quoi, la santé connectée n’offrira pas le meilleur, à savoir une responsabilisation de l’ensemble des acteurs, médecins patients et payeurs. Mais le pire : une rentabilisation forcée sans la moindre solidarité collective.