La médecine est-elle misogyne, raciste et grossophobe ?

En 2023, des chercheurs ont demandé à 1 500 professionnels de services d’urgences de poser un diagnostic à partir d’un cas clinique précis : patient de 50 ans, douleurs thoraciques, anxieux, épisode dépressif antérieur, accompagné de sa photo. Constat des chercheurs et conclusion de l’étude : un homme blanc a 50% de chances de plus d’être considéré comme une urgence vitale qu’une femme noire ! Il sera donc mieux et plus vite pris en charge

Cet exemple irréfutable, publié dans une revue scientifique à lire ici, est cité dans le rapport du Défenseur des Droits sur « Les discriminations dans les parcours de soins » rendu public cette semaine. Ce rapport dénonce l’existence de telles attitudes « à toutes les étapes de la prise en charge ». Il détaille longuement cet « ensemble de préjugés et de stéréotypes qui influencent les pratiques professionnelles » et qui concernent des millions d’usagers : femmes, pauvres, étrangers, obèses, personnes de couleur, porteuses de handicap, sans domicile fixe … D’où, parfois, des diagnostics erronés, des examens différés, des soins non adaptés. Bref, une réelle perte de chance pour ces patients.

Illustrations concrètes, fondées sur des histoires réelles et citées dans ce rapport.

Les femmes

« Vous les femmes, on vous connait, vous êtes des chochottes ». « Trop douillettes ». « Hystériques », « dépressives », « malade imaginaire ». Voire « c’est dans la tête » ou « prenez donc des antidépresseurs ».  Voilà ce que nombre d’entre elles entendent dans la bouche des médecins, en particulier quand elles arrivent dans un service d’urgence. Or, c’est un fait depuis longtemps documenté dans de très nombreuses études : les médecins sous-estiment quasi systématiquement les douleurs alléguées par les femmes – alors que ces mêmes études ont montré qu’en général les hommes se plaignent plus souvent et sont moins endurants ! Au point qu’en moyenne, le retard de prise en charge pour un infarctus atteint 20 minutes pour les femmes.

Le rapport du Défenseur des Droits donne également de nombreux exemples de violences gynécologiques. Insertion de spéculum, pose de stérilet, prélèvement vaginal, mais aussi utilisation de forceps ou épisiotomie au moment de l’accouchement : autant de gestes invasifs, douloureux, pratiqués parfois sans information préalable ni consentement de la patiente. Parfois même, leurs demandes sont ignorées alors qu’elles ont été clairement exprimées, au motif qu’il s’agirait d’un « caprice » (sic).

Les personne obèses

Trois situations vécues.

Un homme évoque en consultation des douleurs à la cheville. Réponse du généraliste : « Vous êtres trop gros, faites du sport. Il faut se bouger, ne pas avoir la flemme ».  Diagnostic posé en 2eme avis : entorse grave avec atteinte ligamentaire.

Une femme se plaint de douleurs au ventre récurrentes. Même réponse d’un autre généraliste (« Vous êtes trop grosse etc. ») et refus d’examen en palpation. Autre médecin, vrai diagnostic : ovaires polykystiques à opérer rapidement.

Refus d’un trajet en ambulance pour un patient obèse et en ALD (affection de longue durée) avec pour seule justification : « Pas rentable »

« Le syndrome méditerranéen »

Préjugé raciste sans fondement médical, qui voudrait que les personnes originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique noire exagèreraient, consciemment ou non, leurs symptômes ou leurs douleurs par crainte de ne pas être prises au sérieux. D’où une minimisation de la part des professionnels de santé pouvant conduire à une mauvaise prise en charge ou à un refus de soins aux conséquences potentiellement fatales.

Exemple rapporté par le Défenseur des Droits : après sept appels successifs pour vomissements et douleurs aux ventre, une femme s’entend répondre par le médecin du SAMU « Mangez des yaourts ».  Véhiculée par son frère qui habitait à 80 kms jusqu’à l’hôpital, elle est prise en charge pour une pancréatite aigüe, une réelle urgence avec risques de complications graves.

Les personnes sans domicile fixe

Ces usagers, bénéficiant en général de la CMU (Couverture maladie universelle, les dispensant d’avancer les frais), ne sont pas toujours les bienvenus dans les cabinets médicaux libéraux. Et les refus de soins, parfois clairement exprimés alors même qu’ils sont illégaux et que toute forme de discrimination est punie, je le rappelle, par une loi de 2008 allant jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Mais à l’hôpital aussi des discriminations existent. Trois histoires vraies citées dans le rapport :

Un homme est hospitalisé pour un syndrome grippal. Il est « expulsé » le lendemain matin sans ordonnance ni examen avec ce commentaire d’un urgentiste : « C’est bon, vous avez bien dormi maintenant il faut partir ». Il reviendra quelques jours plus tard, amaigri de plusieurs kilos, pour une grave pneumopathie.

Une jeune femme, hospitalisée après une surdose médicamenteuse, se voit refuser un bilan sanguin parce que « l’hôpital n’est pas un hôtel pour mère célibataire épuisée » et est remise à la rue sans ménagement.

A une autre femme SDF enceinte, il est carrément refusé une inscription dans la maternité sous préteste qu’on ne sait pas où ni comment la joindre.

Les personnes de religion musulmane

Une femme voilée, venue consulter pour des douleurs rénales importantes, se fait sortir de force d’un cabinet médical par le praticien qui hurle dans le couloir « Vous n’êtes pas chez vous »

Chez le dentiste, une femme musulmane accepte de dévoiler le bas de son visage pour que le dentiste puisse accéder à sa bouche. Veto de ce dentiste qui exige qu’elle enlève entièrement son voile, et devant ses protestations finit par refuser de la soigner. A ce sujet, le Défenseur des Droits note d’ailleurs que dans ses recommandations officielles, l’Ordre des chirurgiens-dentistes ne fait état que de « considérations générales et non circonstanciées » …

Et toutes les autres personnes discriminées …

Le rapport énumère de nombreuses situations où l’accès aux soins est de fait limité, contraint voire empêché. Des exemples ? Des cabinets inaccessibles aux personnes handicapées physiques ; des refus de consultation pour des patients diabétiques (consultations jugées trop longues) ou atteints du sida (crainte de contamination irraisonnée) ; des contraintes horaires pour des personnes atteintes de troubles de neurodéveloppement, ou de troubles autistiques chez les enfants. Etc. etc.

Je voudrais finir cette triste énumération par un exemple emblématique d’une catégorie qui cumule les handicaps : femme, noire et en surpoids. A l’une d’elle, un gynécologue impose des années d’errance diagnostique car ses symptômes (douleurs et règles abondantes) sont « sûrement une particularité des filles des iles », décrète-t-il. Puis il lui refuse des infiltrations car « les femmes noires sont fortes » lui explique-t-il. Il ne l’acceptera que le jour où elle se présentera à son rendez-vous accompagnée de son conjoint. « Un homme jeune et blanc ».