Burn out : un soignant sur deux concerné


Philippe Denormandie est l’un des trois référents de la consultation nationale sur l’état de santé des soignants lancée par la ministre Agnès Firmin Le Bodo. Il nous livre ici les premiers résultats de cette enquête.
Combien de soignants ont répondu au questionnaire ?
50 000 professionnels de santé. C’est énorme ! D’autant que ce travail est inédit : jamais en effet on ne s’était intéressé d’aussi près à la santé des soignants. En pratique, une quarantaine de questions leur étaient posées, nécessitant pas loin de vingt minutes pour y répondre. C’est donc une véritable plongée dans l’univers du soin que nous avons lancée.
Qui a répondu ?
Absolument tout le monde, du directeur d’hôpital à l’aide-soignant, en passant par les sage-femmes ou le brancardier. Les infirmiers ont été les plus nombreux (22% du total), devant les médecins (14%) et les kinés (7%).
Plus de 70% des soignants déclarent subir un stress important, voire très important. Comment l’expliquer ?
De nombreux chercheurs ont travaillé sur ces questions et les facteurs de stress sont aujourd’hui bien identifiés. Ils sont au nombre de quatre, à savoir :
La pression au quotidien. Dans le champ du soin, elle vient aussi bien du patient que de sa famille. Or, elle a augmenté ces dernières années. D’où des réactions parfois violentes auxquelles les soignants ne sont pas préparés.
La charge de travail. Tous les professionnels y sont confrontés : horaires à rallonge dans l’exercice libéral, horaires décalés à l’hôpital, à quoi il faut ajouter la partie administrative, extrêmement chronophage. Le tout, dans un contexte général de pénurie de personnel qui ne fait qu’accroitre la charge de travail des présents.
Le « travail empêché ». On parle là des tâches interrompues en permanence, engendrant frustrations et insatisfactions permanentes. C’est par exemple le cas d’une infirmière obligée d’arrêter un soin pour répondre à une famille insistante. Ou encore un généraliste dont la consultation est hachée par des coups de fil permanents.
Les injonctions contradictoires. Elles sont quasi systématiques dans le champ de la santé. On demande aux soignants de bien faire leur métier, mais sans leur accorder le temps et l’organisation nécessaire pour y parvenir. On recommande au personnel de se s’arrêter ( maladie, vacances, grossesse….) s’il en a besoin, mais on lui fait sentir que la charge de travail supplémentaire reposera sur ses collègues. On exige le meilleur soin possible, mais on parle tout le temps des économies nécessaires à faire.
Ajoutons à cela le manque de sommeil
Seul un soignant sur quatre estime dormir suffisamment. Comme le reste de la population, une partie d’entre eux a recours à des médicaments, mais avec la conviction – fausse – qu’en tant que professionnels ils échapperont à une possible addiction. De même, certains pensent qu’ils peuvent se passer de médecin traitant car ils sauraient se prendre en charge tout seuls. C’est vrai en particulier des médecins : ils ne sont que 64% à en avoir un, contre 90% des Français.
Leur qualité de vie est fortement impactée. D’où ce chiffre très inquiétant : un soignant sur deux a déjà vécu un burnout.
C’est difficile, voire impossible d’éviter que cette pression envahisse la vie privée des soignants. Ils se trouvent progressivement embarqués dans un cercle vicieux : le stress engendre un manque de sommeil, qui engendre de la fatigue, qui elle-même engendre des troubles de l’attention, ce qui augmente le stress. Résultat : un épuisement physique et psychique qui aboutit, dans la moitié des cas, à un arrêt de travail voire à un burn out.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Après la publication des résultats complets prévus d’ici l’été, le gouvernement devrait établir une feuille de route détaillée autour de différents chantiers. Sensibiliser les professionnels et les former, promouvoir des initiatives sur le terrain, développer des projets de recherche par exemple.
Cela suffira-t-il à sortir du déni qui entoure le mal-être des soignants ?
La souffrance des soignants reste effectivement un tabou dans notre société.La médecine du travail est très fragilisée dans notre secteur et a donc peu d’actions de prévention.. Mais aujourd’hui, il faut avoir le courage de dire que c’est un vrai sujet et que la situation est préoccupante. Cela suppose de travailler sur le long terme et d’impliquer tous les acteurs concernés, pas seulement le personnel.
Concrètement, quelles pistes suggérez-vous ?
Tout doit être envisagé. On pourrait mettre en place un pilotage à l’échelle interministérielle, nommer un Haut -Commissaire à la santé des soignants. Créer un fonds de prévention d’usure professionnelle pour tous les professionnels de santé quel que soit le secteur ou le mode d’excercice. On pourrait aussi prendre en compte le bien-être au travail dans la certification des établissements de santé en définissant quelques indicateurs précis. Ou instaurer un intéressement pour les assureurs en diminuant les primes quand les risques psycho-sociaux sont en amélioration. Il est plus que temps d’agir : c’est une urgence de santé publique. En tant qu’usagers, la santé des soignants nous concerne tous : Un soignant en bonne santé soigne bien !