Pénurie de médicaments : de pire en pire !


La réalité des chiffres est cruelle : en 2023, près d’un Français sur deux n’a pu avoir le traitement dont il avait besoin pour cause de pénurie. Le gouvernement a beau multiplier les commissions d’enquête sur le sujet, mettre la pression sur l’industrie pharmaceutique, jurer que la situation s’améliore, le dernier baromètre publié par France Assos Santé (1) montre exactement le contraire.
Plus précisément, 44% de la population a été confrontée à cette situation au moins une fois l’année dernière. Dont 2% à l’hôpital. Un chiffre ridicule pourrait-on répondre. Détrompez-vous. D’abord parce le fait même que cela puisse arriver dans un pays développé comme le nôtre constitue un problème de santé publique. Mais aussi parce que 2% de 12,8 millions de Français (le nombre de personnes hospitalisées chaque année), cela représente plus de 250 000 patients. Plus de 250 00 Français qui, on l’imagine, avaient besoin de médicaments essentiels voire vitaux et pas de paracétamol ou autres.
Quant à la situation dans les officines, elle est chaque années pire que l’année précédente. En 2023, lorsqu’ils ont demandé une molécule précise dans une pharmacie 42% des clients se sont entendu répondre : « Je n’en ai pas actuellement nous sommes en pénurie ». En 2022, ils étaient « seulement » 37%. Et 29% en 2021. L’aggravation est spectaculaire, pour ne pas dire inquiétante.
D’autant que, dans un cas sur trois, aucune alternative satisfaisante n’a pu leur être proposée. Pour mémoire, comme je l’expliquais dans un post récent, une telle pénurie constitue « une perte de chance » réelle selon 75% des médecins hospitaliers interrogés par la Ligue contre le Cancer. On était alors en 2020. Quatre ans plus tard, il est à craindre que cette perte de chance ait provoqué entre temps des décès qui étaient pourtant évitables.
Alors évidemment la situation ne date pas d’hier ni même d’avant-hier. Évidemment les pouvoirs publics ne peuvent être tenus pour seuls responsables. Évidemment les causes sont complexes et multifactorielles, les acteurs nombreux et dilués, la crise mondiale et généralisée. Faudrait-il pour autant s’en accommoder ? La réponse est dans la question : non. Car cette pénurie participe pour une part au sentiment de défiance envers notre système de santé et elle accrédite l’idée que nos gouvernants seraient incapables de répondre aux besoins essentiels des Français. Un climat qui, on l’a vu durant la crise du Covid, on le voit aujourd’hui avec les propositions de certains partis, alimente le populisme et la remise en cause de tous les « sachants » – médecins, experts, scientifiques et politiques.
Il est un autre motif de préoccupation souligné par le baromètre de France Assos Santé – et qui n’est malheureusement pas plus nouveau que la pénurie de médicaments : la difficulté que rencontrent les usagers pour obtenir un rendez-vous chez un médecin. Autant les Français se disent satisfaits de l’efficacité perçue des soins qu’ils reçoivent (87% d’avis positifs), autant ils ont un avis négatif (25%), et même « très négatif » (14%) sur le temps d’attente pour obtenir ce fameux rendez-vous. Au total, c’est donc là aussi près d’un Français sur deux qui exprime très clairement son mécontentement.
Et, là aussi, la situation ne date pas d’hier. Là aussi, les causes sont complexes et multifactorielles, les acteurs nombreux et dilués … Il en va de même que pour les pénuries de médicaments : sentiment d’injustice, sentiment d’impuissance, sentiment de dégradation continue, tout cela fait gonfler dans notre pays un vent mauvais qui profite aux extrêmes et fait la part belle aux raisonnements simplistes et aux remèdes faussement séduisants.
Ajoutez à cela le phénomène de double peine : malade et empêché d’accéder à un crédit – 25% des Français ont connu des difficultés pour en obtenir un, 13% ont même essuyé un refus lié à leur état de santé. Ajoutez à cela un manque d’informations sur les aides proposées aux 20% d’aidants dans notre pays – la moitié à peine connaissent un dispositif au moins parmi tous ceux qui existent, congé de proche aidant, dons de jours de repos, solutions de répit etc.
Manque de professionnels disponibles, pénurie de médicaments, déficit d’information utiles, inégalités d’accès aux soins, coût exorbitant de certains traitements … La liste est longue des insuffisances de notre système de santé. Des solutions existent. Des pistes de réformes sont à explorer. Certaines sont indispensables, certaines sur le long terme, certaines douloureuses à mettre en place. Les uns y gagneront, les autres moins. Il faudra faire preuve de pédagogie et de courage politique. Mais le temps presse. Il y a urgence.
(1) : sondage par téléphone auprès de 1507B Français âgés de 15 ans et plus selon la méthode des quotas par BVA Xsignt pour France Assos Santé