Santé mentale : la grande maltraitance

C’est « le » point aveugle de la médecine en France. Il concerne tout le monde, il n’est pas nouveau mais les choses se sont encore aggravées avec le Covid – chez les jeunes en particulier où certains évoquent une quasi-épidémie. Je veux parler de la prise en charge de la santé mentale dans notre pays.

Quelques chiffres pour prendre la mesure de la situation actuelle. Chaque année, près de 300 000 personnes sont hospitalisées à temps plein dans un service de psychiatrie. Dans un cas sur quatre, cela se fait sans leur consentement.

Parmi ces 75 000 personnes hospitalisées malgré elles, 40% vont se retrouver à l’isolement et 11% vont même subir ce qu’on appelle la « contention ». Concrètement, elles sont attachées sur un lit par des sangles, sans pouvoir se lever, bouger, se gratter le nez ou boire un verre d’eau. 24 heures sur 24 et parfois plusieurs jours consécutifs. Vous trouvez ça barbare ? Moi aussi. Des mesures pourtant très encadrées par la HAS (Haute autorité de santé).

Ces chiffre, issus d’une étude publiée récemment dans Questions d’économie et de la santé, sont curieusement passés inaperçus. Ils présentent pourtant un « panorama inédit » de la réalité, constatent ses auteurs qui rappellent au passage que de telles pratiques sont dénoncées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) du fait de « l’absence de preuves de leur bénéfice thérapeutique et de leurs possibles effets indésirables » : atrophie musculaire, stress post-traumatique, aggravation des troubles psychiques pouvant même parfois conduire au décès du patient.

Qui sont donc ces 75 000 personnes hospitalisées chaque année sans leur consentement ?

Dans la grande majorité des cas, ce sont de sujets atteints de trouble psychotique, loin devant les troubles bipolaires, dépressifs ou névrotiques. Le plus souvent, c’est à la demande d’un tiers (49%), en général la famille, mais ce peut être aussi sur décision d’un représentant de l’État (14%) ou en raison d’un « péril imminent » (27%), que ces patients soient dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres. Une fois sur deux, ils ont d’ailleurs été envoyés par les services d’urgence.

Autres enseignements de cette étude : dans deux cas sur trois ce sont des hommes, jeunes (âge médian : 35 ans) et en grande vulnérabilité sociale et économique puisque 25% d’entre eux bénéficient de la Complémentaire santé solidaire, l’ancienne CMU.

Il y a plus intéressant encore : au cours des deux années précédentes, la moitié d’entre eux avaient déjà été admis dans le même établissement et un tiers avaient alors subi des mesures d’isolement – toujours sans leur consentement évidemment. En outre, durant ces deux mêmes années précédentes un tiers d’entre eux avaient été pris en charge pour des problèmes d’addiction.

Résumons : ces personnes sont des personnes fragiles et victimes d’une triple peine. On les hospitalise de force, on leur impose des contraintes terribles (isolement, contention) et on ne les prend pas correctement en charge puisqu’elles y retournent malgré elles peu de temps après.

Par ailleurs, il existe deux groupes particuliers surreprésentées dans cette population hospitalisée sous contrainte, « ce qui interroge » notent les auteurs de l’étude : les détenus et les séjours pour « déficience intellectuelle et troubles du développement psychologique (autisme etc.) »

Dans le premier cas, les chercheurs avancent une double hypothèse : des « exigences de sécurité non justifiées » et « une méfiance des équipes soignantes ».  Dans le second, ce serait plutôt pour « compenser des difficultés à répondre aux besoins spécifiques » de ces patients.

Il ne s’agit pas là, bien entendu, de jeter l’opprobre sur l’ensemble des soignants– et les auteurs de l’étude s’en gardent bien. Dans de nombreux cas, ces mesures d’isolement et de contention sont nécessaires. Mais elles peuvent également s’expliquer par l’absence ou l’insuffisance de personnel qualifié. Disons les choses crûment : ce sont des malades difficiles, parfois dangereux pour eux ou pour le personnel, parfois violents et l’hôpital n’est pas en mesure de fournir une solution satisfaisante. Personne n’enferme de gaité de cœur un malade dans une chambre, personne ne trouve plaisir à l’attacher sur son lit.

Pour autant, ces pratiques posent problème, car elles sont plus fréquentes (« en particulier la contention » précisent les auteurs) en France que dans les neufs autres pays européens à réglementation comparable.

Elles posent d’autant plus problème que :

Sur les 220 établissements répertoriés en France, 30% d’entre eux en moyenne appliquent l’isolement. Mais pourquoi dénombre-on 14 établissements qui dépassent les 50% et deux qui dépassent les 80% ?

Sur ces 220 établissements, 8% d’entre eux en moyenne appliquent la contention. Mais pourquoi dénombre-on 18 établissements qui dépassent les 20% et un qui dépasse les 35% ?

Pourquoi, dans le même temps, y-a-il 11 établissements qui ne pratiquent aucune mesure d’isolement et 32 aucune contention ?

Oui, pourquoi ?