Les associations de patients taclent le Pr Raoult


« Traitements plus ou moins saugrenus, ou même dangereux », « protocoles lancés hors des règles éthiques et légales », « résultats trop préliminaires », « recettes intuitives ou initiatives individuelles non validées », « polémiques absurdes et toxiques »… Quand les associations de patients prennent la parole sur les essais cliniques menés sur le Covid 19, c’est pour se livrer à une charge au bazooka contre le Pr Raoult.
Bien sûr, ce dernier n’est pas nommément cité – tout comme il n’était pas nommé dans un communiqué du Conseil de l’Ordre qui évoquait de « faux espoirs de guérison ». Mais là encore, personne n’est dupe, surtout quand il est fait mention de « traitements faisant le bonheur des réseaux sociaux et des médias ». D’autant que cette tribune émane des représentants d’usagers membres des CPP (Comité de protection des personnes). Pour rappel, les CPP sont une sorte de comité d’éthique de la recherche qui doivent être obligatoirement saisis par tout chercheur avant qu’il se lance dans un essai clinique. Composés pour moitié de médecins et de représentants de la société civile, ces 39 CCP sont au plan local ce qu’est au plan national l’ANSM, l’Agence du médicament.
Surtout, ces représentants d’usagers sont issus de France Assos santé (FAS), qui regroupe à elle seule 85 associations nationales, soit des millions de Français cardiaques, handicapés, cancéreux, atteints de maladies chroniques. Mais pas seulement : France Assos Santé, c’est vous, moi, nous, c’est en quelque sorte la voix de tous les usagers de santé, qu’ils soient malades ou pas.
Le Président de FAS, Gérard Raymond, en est conscient : cette tribune publiée sur le site de FAS ne va pas plaire à tout le monde, y compris au sein de ses troupes. Même s’il le déplore, il reconnaît d’ailleurs bien volontiers que le débat est vif : « Certains de nos adhérents ne comprennent pas pourquoi le Pr Raoult n’est toujours pas ministre de la Santé. D’autres voudraient que tous les Français puissent mettre un peu de chloroquine dans leur café du matin ! Cette affaire prend des proportions délirantes, en particulier en France. Il est temps de revenir à des principes fermes en matière d’essai clinique, faute de quoi demain n’importe quel charlatan aura pignon sur rue. »
Qu’on ne se méprenne pas : Gérard Raymond n’entend pas se prononcer sur la validité ou non du protocole proposé par le Pr Raoult. Il n’entend pas davantage se substituer aux scientifiques. Mais il insiste sur « la nécessité d’une participation éclairée de nos concitoyens à la recherche ». Bien sûr, « il y a urgence » ; bien sûr aussi, « tout le monde espère un traitement efficace contre le Covid 19 ». Pour autant, « l’urgence ne saurait être une excuse pour s’affranchir des règles éthiques. Il ne peut y avoir d’exception à ces principes intangibles. »
Pourquoi France Assos santé prend-elle ainsi la parole et avec un ton aussi ferme ? Parce que l’ANSM, l’agence du médicament, est l’autre garant de l’éthique et du respect des bonnes pratiques en matière d’essai clinique. Et que l’ANSM donc ne fait pas sont travail. Plutôt que de s’intéresser à la qualité des essais cliniques menés en France, elle se contente de publier plus ou moins régulièrement des communiqués. Sur les protocoles d’oxygénation, ou sur des plantes à risques comme l’Artemisia. Le dernier en date est sorti jeudi et il est plutôt inquiétant : l’académie espagnole de médecine vient de lancer une alerte sur les risques de suicide à la suite de la prise d’hydroxychloroquine, « y compris chez des patients sans antécédents psychiatriques ».
En revanche, l’ANSM reste aujourd’hui encore d’une pudeur de violette sur les protocoles du Pr Raoult… Elle lui a bien demandé quelques précisions, en particulier sur des détails techniques, mais elle n’est pas allée chercher plus loin. Et surtout, elle s’est bien gardée de se prononcer sur le respect – ou non – de l’éthique de tels essais cliniques. Et quand l’Ordre des Médecins l’a interpellée sur cette question, il n’a pas obtenu davantage de réponse. Un silence assourdissant qui exaspère de nombreux scientifiques, scandalisés devant le statut d’intouchable dont semble jouir le Pr Raoult.
Pour Gérard Raymond, pas question de remettre en cause « l’expertise ni la bonne volonté » des personnes qui composent l’ANSM. En revanche, « on touche là les limites du fonctionnement, de l’organisation et des missions de l’ANSM ». Ce que pointe ici Gérard Raymond à demi-mots, c’est cette image médiocre dont souffre l’ANSM depuis longtemps. Tantôt accusée (et pas toujours à tort) de frilosité en face des laboratoires pharmaceutiques, tantôt montrée du doigt pour sa gestion calamiteuse de crises sanitaires (comme pour le Lévothyrox), l’ANSM avait là une excellente occasion de redorer son blason. C’est peu dire qu’elle ne l’a pas saisie.
N’empêche : que des associations de patients, des usagers de santé en arrivent à rappeler à un organisme officiel qu’il doit remplir son rôle, voilà qui en dit long sur le degré de déliquescence de certaines autorités sanitaires dans notre pays.