Médecines douces : les médecins doutent !

Comme dirait mon fils Joseph, « ça pique »… Oui, ça pique mais il faut bien s’y résoudre : en 2019, les Français accordent plus de bienfaits à l’homéopathie (70%) qu’aux vaccins (66%). « Ca pique », parce qu’au pays de Descartes, cette prime à l’irrationnel fait mal. Et qu’elle montre à quel point les citoyens éprouvent un fort sentiment de défiance vis-à-vis des institutions et de ce qu’on appelle les « sachants ». Concernant les politiques, le phénomène n’est pas nouveau. Mais qu’il touche désormais les scientifiques et les médecins, voilà qui interpelle. Et pourtant :  si la défiance se traduit par une adhésion à un discours parfois paranoïaque et qui va à l’encontre de leur propre santé, ces deux formes de médecine n’ont pas nécessairement vocation à s’opposer l’une à l’autre. Ces pourcentages inquiétants, issus d’un ouvrage remarquable et très complet (1), ont été repris lundi dernier, lors du premier colloque organisé au ministère de la Santé sur « les médecines complémentaires et alternatives » (MCA). Les MCA, ce sont toutes ces thérapeutiques en vogue aujourd’hui, acupuncture, phytothérapie, sophrologie, ostéopathie, homéopathie ou autres. Au passage, je note l’extraordinaire ambiguïté de notre système de santé envers ces pratiques – tantôt remboursées, tantôt pas, tantôt réservées aux médecins, tantôt pas, tantôt sanctionnées par un diplôme universitaire, tantôt pas. Allez donc vous y retrouver ! Encore faudrait-il être sûr que l’on parle de la même chose. Or, parce que les mots ont un sens, la façon même de nommer révèle implicitement une appréciation toute personnelle. Et vous, dites-vous « Médecines douces » (version grand public) ? « Médecines traditionnelles »  (version OMS) ? « Thérapies non médicamenteuses ? (version HAS) ? Philippe Denormandie, lui, préfère l’expression « médecines complémentaires et alternatives » – en insistant sur le « et » et sur le fait qu’elles ne se posent pas contre la médecine allopathique mais bien en appoint, en supplément. Un mot tout de même sur Philippe Denormandie. Car il n’est pas fréquent qu’un des meilleurs chirurgiens au monde dans une spécialité très technique comme l’orthopédie de réparation, soit aussi ouvert à tout ce qui échappe à la chirurgie justement. Philippe Denormandie est l’organisateur du colloque de lundi et sa parole est singulière. La preuve. « Les patients que je soigne sont atteints de pathologies lourdes et multiples. Au-delà du handicap ou de leurs affections chroniques, ils souffrent aussi de problèmes de douleur, de sommeil, d’alimentation. Aucun acte technique ne suffira en lui-même à provoquer la guérison complète. Aucun traitement médicamenteux ne suffira à traiter toutes les complications. En revanche, cela a été démontré scientifiquement, pour lutter contre la douleur par exemple, des activités qui apportent du plaisir et qui créent du lien social peuvent parfois se révéler aussi efficaces que des médicaments. Cela relève d’ailleurs du bon sens : le cerveau est relié à tous les organes, et il agit sur eux grâce à son système neuro-végétatif et dopaminergique. Voilà pourquoi il n’y a pas « une » médecine, mais un ensemble de solutions thérapeutiques. » Et Philippe Denormandie ajoute : « Les patients sont de plus en plus pertinents sur leur propre prise en charge. L’exemple de la cancérologie est emblématique : aujourd’hui, de nombreux cancers évoluent vers la chronicité grâce à des traitement efficaces, mais aux effets secondaires lourds. Les MCA constituent de ce point de vue une approche tout à fait pertinente. Le problème, c’est que lorsqu’ils y ont recours, les patients n’osent pas en parler à leurs médecins et les médecins oublient d’en parler avec leurs patients. » Le problème aussi, c’est que les patients n’ont pas forcément tort… Car contrairement à une idée répandue, le divorce à propos des MCA n’est pas entre les patients d’une part et les professionnels de santé de l’autre. Il est entre les médecins et le reste du monde ! L’enquête publiée dans l’ouvrage mentionné plus haut le montre bien. Un seul exemple : l’ostéopathie, bénéfique pour la santé ? Les Français répondent oui à 85%, les soignants non-médecins oui à 83%, mais les médecins oui à 74% seulement. Et sur l’ensemble des médecines alternatives, le différentiel est le même, avec respectivement 68% , 66%, et seulement 56% chez les médecins. Il reste donc encore bien des obstacles à franchir pour faire entrer les MCA dans l’arsenal thérapeutique en France. Philippe Denormandie en énumère quelques-uns : l’évaluation des MCA, encore trop calquée sur celle des médicaments ; la formation des médecins, encore trop techniciste ; le mode de financement, encore trop centré exclusivement sur l’acte médical ; et, enfin, la faiblesse de réglementation de l’ensemble de ces pratiques. « Il faut un accès à une information claire, transparente et validée par les patients eux-mêmes », pointe Philippe Denormandie. Et il insiste : « Par ignorance ou par gêne, certains n’osent pas dire qu’ils ont recours à des MCA. Or, certaines plantes par exemple peuvent entrer en interaction avec des médicaments, et le praticien a besoin de le savoir. C’est pourquoi je dis à tous les patients : N’ayez pas honte de ce que vous faites ! Après tout, c’est vous les premiers intéressés dans cette affaire. »

  • : « <Médecines complémentaires et alternatives. Pour ou contre ? Regards croisés sur la médecine de demain » (Ed. Michalon, 394 pages)