Agences sanitaires : la transparence à tout prix ?


« Toute peine mérite salaire ». On connaît le dicton, mais reste à savoir lequel… Curieusement, personne n’avait encore posé cette question aux dirigeants des différentes agences sanitaires françaises. Le Quotidien du Médecin en a eu l’idée récemment, après la polémique autour de Chantale Jouanno et de ses émoluments en tant que Présidente de la Commission nationale du débat public – 176 518 euros annuels cette année, paradoxalement moins que ceux des vice-présidents de la ladite Commission qui, eux, touchent 186 764 euros.
Le Quotidien a donc interrogé trois institutions : l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), Santé Publique France et l’ANSES (Agence nationale de sécurité alimentaire, de l’environnement et du travail). Réponse ? Pas de réponse ! Les deux dernières n’ont même pas daigné fournir ne serait-ce qu’une vague évaluation. Quant à l’ANSM, elle se dit prête à divulguer ces informations… à condition que « cette démarche {soit} réalisée en concertation avec le ministère et les autres agences » a-t-elle précisé au Quotidien.
En d’autres termes, si les autres ne bougent pas, on ne bouge pas ! Et ce, alors même que le ministère de la Santé, qui fixe ces rémunérations en accord avec celui du Budget, les autorise, les encourage même vivement à faire preuve de transparence. Au passage, Agnès Buzyn montre l’exemple puisque son salaire est, comme celui des autres membres du Gouvernement, du domaine public : 119 280 euros annuels, sans compter les divers avantages en nature dont elle bénéficie à l’instar de ses collègues : chauffeur, logement de fonction, accès gratuit au réseau SNCF ou autres.
De leur côté, depuis quelques années, les 26 autorités indépendantes sont tenues de rendre publics les salaires de leurs dirigeants. On apprend ainsi dans des documents officiels que le champion toutes catégories est le Président de l’AMF (Autorité des marchés financiers) avec 238 973 euros bruts par an. Et que parmi les quatre autorités concernées par des questions de santé, la Présidente de la HAS (Haute autorité de santé) n’en est pas très loin (210 197 euros), et le Président de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) encore moins, avec 223 419 euros bruts. En tout cas bien au-dessus de l’Autorités sur les essais nucléaires (2000 euros par mois pour un mi-temps) et de celle sur le dopage (1 995 euros d’indemnité forfaitaire).
Reste la seule vraie question qui vaille : au-delà des chiffres bruts, ces salaires élevés sont-ils justifiés ? Au risque de surprendre peut-être, ma réponse est un Oui convaincu ! Je m’explique : les institutions mentionnées précédemment (HAS, ANSM, ANSES) ont un rôle décisionnel considérable, puisqu’elles engagent l’État sur des enjeux aussi fondamentaux que la qualité des soins, la protection des usagers de santé, les progrès thérapeutiques, le prix des médicaments, leur surveillance « dans la vraie vie » et bien d’autres encore.
Leurs dirigeants ont donc (en tout cas, ils sont censés avoir !) une grande compétence dans des champs extrêmement techniques. Ils sont en outre confrontés à des responsabilités considérables. Ils doivent enfin être capables de résister à toutes sortes de pression – y compris celles des pouvoirs publics. Et de prendre des coups (pas toujours justifiés d’ailleurs…) à la place des politiques, voire d’assumer parfois des décisions qui ne sont pas les leurs. Je songe, par exemple, au choix de Marisol Touraine, alors ministre, de ne pas dérembourser des traitements contre Alzheimer alors même que la HAS proposait la solution inverse.
Bref, un dirigeant pareil, c’est l’oiseau rare, le mouton à cinq pattes (choisissez la métaphore animalière que vous voulez !) qui coche toutes les cases. Et si, mieux encore, il accepte de faire office de bouc émissaire quand le besoin s’en fait sentir, cela n’a pas de prix ! Je pousserais même la provocation en ajoutant que la garantie de son indépendance, c’est justement un salaire très élevé.
Pour autant, faut-il se soumettre à la tyrannie de la transparence absolue ? Flatter la vindicte populaire et révéler des salaires mirobolants, au moment où certains Gilets Jaunes racontent sur les écrans de télé leur vie avec 1000 euros par mois ? Je n’en suis pas sûr. Ou plutôt, à la réflexion si. Mais à condition d’expliquer, de contextualiser, de rappeler les enjeux de sanitaires afférents. A condition, aussi, de faire preuve de pédagogie sans céder à la facilité du « Tous pourris, tous achetés ». Je sais bien qu’aujourd’hui le climat est à la démagogie généralisée, à la surenchère permanente. Mais je ferais volontiers ce pari de l’intelligence collective qui consiste à prendre le risque de choquer certains pour convaincre les autres au nom de l’intérêt général. Parce que dès qu’il s’agit d’argent, l’opacité nourrit la méfiance et alimente tous les fantasmes. Et que, en matière de santé publique, c’est bien le pire que l’on puisse craindre.