Vive « L’ordre des médecins »!

Est-ce parce que mes parents sont médecins et âgés ? Est-ce parce que j’ai appris récemment qu’une amie très chère était atteinte d’un cancer du poumon ? J’ai en en tout cas été très touché par « L’ordre des médecins » sorti cette semaine sur les écrans. Ce film raconte le monde de l’hôpital avec une grande justesse. Tourné presqu’exclusivement au CHU Bretonneau de Tours, il décrit le quotidien d’un service « vu de l’intérieur », jusque dans les moindres détails.

Tout y est. Les longs couloirs à parcourir, la lumière blafarde, les gestes quotidiens. Les anecdotes improbables mais vraies (l’anorexique étouffée par un Mc Do). Les déjeuners vite avalés (sandwich-canette de Red Bull ou sushis plutôt que plateau-repas insipide). Les moments de tension (l’annonce d’un cancer) et les intervalles de détente (une fête improvisée dans le bureau des infirmières).

Le film raconte aussi les rapports entre praticiens en poste et étudiants, internes ou externes. Leurs relations fortes, parfois conflictuelles, souvent chaleureuses. La morgue des chirurgiens (« je ne remets pas les mains dedans » à propos d’une patiente) et l’humanité des infirmières. Les petits soucis (qui n’a pas abondé la cagnotte du service ?) et les grandes questions (peut-on garder un patient contre son gré ?). Sans oublier les nuits de folie avec les étudiants – parce qu’il faut décompresser de temps à autre pour ne pas sombrer dans le stress ou le désespoir.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma s’intéresse à ces questions. Certains films ont privilégié le point de vue des patients : Le scaphandre et le papillon, Intouchables, et plus près de nous le bouleversant La guerre est déclarée. D’autres ont préféré un parti-pris militant – pour le meilleur (120 battements par minute) ou le moins bon (La Fille de Brest sur le Médiator). D’autres enfin ont voulu dépeindre la médecine à travers ceux qui la pratiquent aujourd’hui  (Médecin de campagne, Hippocrate) et ceux qui la pratiqueront demain (Première année). Avec, dans la quasi-totalité des cas, une peinture fidèle à la réalité.

Mais ce qui est original, singulier même avec L’Ordre des Médecins c’est qu’il mêle avec finesse et intelligence ces différents points de vue. Car Simon, le personnage principal, est tour à tour et parfois en même temps un médecin, un proche et un combattant. Médecin quand il soigne les patients dans son service de pneumologie ; médecin aussi quand il emmène sa mère passer un scanner – quitte à passer devant les autres et à  » le faire pour {lui} et pas pour {elle} » comme le lui fait justement remarquer Agathe, une interne avec qui il a une relation amoureuse. Un proche quand il réclame à l’accueil le branchement de la télé dans la chambre de sa mère ; ou qu’il demande à une infirmière des renseignements d’ordre médical – et que, dans les deux cas, habillé en « civil », il se fait rembarrer sans ménagement !

Un militant enfin, quand il se bat pour la vie. Celle de ce patient qui préfère sortir avant les examens contre l’avis du spécialiste. Celle de cet autre patient qui, lui, guérira grâce à une chimio. Celle de Chloé, atteinte de mucoviscidose, si touchante quand l’appelle « Doc » et qu’elle lui raconte par le menu les séries télé qu’elle dévore. Celle de sa mère surtout, qui ne souhaite pas lutter à tout prix contre cette sale récidive de cancer. Qui le lui dit et qui s’y tient.

Comment accepter l’inacceptable ? Comment se résoudre au décès prochain d’une personne que l’on aime ? Comment renoncer à son métier quand celui-ci consiste à soigner, à guérir ? Les médecins ont un rapport particulier à la mort. Celle de leurs proches mais aussi la leur. Il n’est que de voir le nombre de ceux qui sont accros à quelque chose : alcool, tabac, médicaments ou autres – quand ce n’est pas tout simplement l’adrénaline ou le travail. Fils et frère de médecins, le réalisateur raconte tout cela. Avec une infinie pudeur et beaucoup de talent.