Après les gilets jaunes, les blouses blanches ?…
Les négociations qui ont débuté mercredi entre les professionnels de santé libéraux et la CNAM promettent d’être tendues ! Le même jour, le président du principal syndicat, la CSMF, dénonçait dans ses veux « l’absence de prise en compte de la parole syndicale par les énarques qui nous gouvernent, le dogmatisme, la surdité voire la corruption qui s’est installée chez certains politiques ». Ambiance…
Au-delà de l’outrance ou la provocation, le Dr Jean-Paul Ortiz pointait néanmoins dans son allocution une éventualité qui sonne comme un avertissement : « Les gilets blancs pourraient bien remplacer les gilets jaunes car le système de santé va mal et les Français le savent bien ». De fait, si le diagnostic posé par Emmanuel Macron dans le cadre de « Ma santé 2022 » ne souffre guère de discussion, pour ce qui est des remèdes en revanche il y a matière à inquiétude. Le projet de loi d’Agnès Buzyn mélange en effet annonces fortes, flou artistique et volonté de passer par des ordonnances, c’est-à-dire sans grande concertation.
Or, les professionnels de santé sont unanimes : ils n’en peuvent plus. D’un bout à l’autre de la chaine de soins, c’est le même sentiment d’impuissance et de gâchis qui domine. Il n’est que de voir le nombre d’infirmières et d’aides-soignants qui s’expriment en tant que gilets jaunes. Sans tomber dans un pessimisme excessif, la ministre de la Santé ferait bien d’être attentive à tous ces « petits signes » qui montrent que, à l’hôpital en particulier, on est au bord de la rupture. Des exemples ?
Ce sont ces 14 chefs de service d’urgences qui signent dans Le Monde d’hier une tribune pour dénoncer « une saturation permanente {qui} risque d’augmenter considérablement le risque d’erreurs et use les équipes » – et ce, quelques jours à peine après le décès d’une patiente à l’hôpital Lariboisière dû, entre autres, à un manque de personnel dénoncé depuis des années.
Ce sont ces 120 praticiens du Centre Hospitalier (CH) de Saint-Brieuc en Bretagne qui, à l’automne dernier, ont abandonné en bloc de leurs fonctions administratives et managériales – « une première dans l’histoire de notre hôpital, qui nous laisse un grand sentiment de tristesse » précise l’un d’eux. Raisons invoquées : « une situation trop détériorée, une méfiance trop fixée, une désespérance trop forte ».
Ce sont l’ensemble des internes et des jeunes médecins qui, selon une enquête de l’ISNI auprès de 21 000 d’entre eux (!), révèle que les deux-tiers se plaignent d’anxiété récurrente et que près d’un quart ont des idées suicidaires, un taux bien supérieur à la population générale (4% chez les 20-34 ans). Je ne reviendrai pas ici sur le nombre élevé de victimes de harcèlements au sein même de leur service mais on voit mal, dans ces conditions, comment ils pourraient exercer leur métier avec confiance et sérénité.
Ce sont ces chefs de service qui, toutes spécialités et tous types d’établissement confondus, démissionnent en masse depuis la rentrée : anesthésie-réanimation à Nice en septembre, gynécologie à Clermont-Ferrand en octobre, urgences à Creil en janvier et bien d’autres encore. Quant à l’échelon supérieur, celui des présidents de CME (Commission médicale d’établissement, sorte de « parlement » des médecins), le moral est au plus bas : sur une échelle de 1 à 10, seuls 20% mettent une note au-dessus de 5 contre 20% qui répondent « 1 » ou « 2 ». Au point qu’en octobre, ils étaient près de 200 à lancer un SOS aux pouvoirs publics pour ne pas laisser « l’hôpital mourir dans l’indifférence ».
Au-delà des médecins hospitaliers, c’est bien l’ensemble du monde de la santé qui souffre. Généralistes épuisés, infirmières agressées, personnel en EHPAD débordé… Une enquête menée par l’Institut Odoxa pour la fédération Nehs auprès de 9000 professionnels montre l’ampleur du phénomène : 38% des personnes interrogées ont été malades au cours des deux derniers mois (contre 21% dans la population générale), près d’un quart ont des difficultés à dormir toutes les nuits et 10% boivent et/ou fument quotidiennement.
Mal-être général, sentiment d’épuisement, lassitude globale, on en viendrait presque à s’étonner que le système dans son ensemble n’ait pas encore explosé. Priorité donnée aux malades, sens du devoir, solidarité entre pairs, voilà qui explique sans doute, pour une part, cette sorte de résignation. Mais pour combien de temps encore ? Au prix de quels sacrifices personnels ? Et de quelles dégradations de la qualité des soins ? Après les gilets jaunes et les crayons rouges de l’enseignement, il pourrait bien y avoir bientôt les blouses blanches de la santé…