Les vrais chiffres du sexisme à l’hôpital
8,5% de harcèlement avéré, 34% de gestes ou d’attitudes déplacés, 85% de sexisme au quotidien… À l’hôpital, les internes femmes subissent des violences inadmissibles.
C’est une première en France et l’Isni, le syndicat national des internes, peut être fier de l’avoir initiée : près de 3000 internes ont répondu à cette enquête sur l’ensemble des comportements sexistes à l’hôpital. Qu’ils émanent de médecins, du personnel soignant ou même des patients. Menée à l’échelle nationale et rendue publique aujourd’hui, elle permet de mesurer, avec précision, l’ampleur du phénomène. Et les résultats sont impressionnants, voire alarmants.
Harcèlement : près d’une interne sur deux concernée
Plus d’une interne sur trois (34%) a connu « au moins une fois ou quelques fois », ce que l’Isni appelle des « attitudes connotées » sexuellement. À cela, il faut ajouter le « vrai » harcèlement sexuel, c’est-à-dire la répétition, par une même personne, de telles attitudes : c’est le cas de 8,6% des internes femmes (6,6% de harcèlement déclaré et 2% de harcèlement non déclaré mais avéré). Au total, cela représente donc 42,6% des internes femmes. Encore faut-il définir avec précision ce qu’est une attitude connotée. En l’occurrence, les réponses sont sans équivoque : les femmes mentionnent notamment un geste non désiré (50% du total), un contact physique non souhaité (15%), une simulation d’acte sexuel (9%) ou encore une demande insistante de relation sexuelle (14%). Quant au chantage à connotation sexuelle, il n’est pas exceptionnel, loin de là : 12% des femmes internes en sont victimes. L’enquête de l’Isni détaille également les auteurs de ces agissements. Premiers accusés : les médecins dans 48% des cas, dont 10% de chefs de service (rappelons qu’un interne est encore étudiant en fin d’études, et donc qu’il n’a pas le statut de médecin en exercice). Pour autant, leurs collègues masculins internes ne sont pas irréprochables (28% du total), le personnel soignant pas davantage (15%).
Sexisme : une réalité quotidienne pour 86%
Dans mon post précédent, je laissais la parole à Alizée Porto qui racontait, de l’intérieur, cette réalité au jour le jour : réflexions dévalorisantes, remarques déplaisantes, blagues douteuses, jusqu’à des formes beaucoup plus graves comme les discriminations ou le harcèlement mentionné ci-dessus. Ce sexisme au quotidien, la quasi-totalité des femmes internes le constatent : 47% d’entre elles se considèrent comme des victimes, et 39% le subissent sans pour autant de déclarer comme telles. Seules 14% des femmes disent ne rencontrer aucun sexisme au quotidien. Là encore, il est, le plus souvent, le fait des médecins (37% des cas, et 13% de la part de chefs de service). Là encore, les internes hommes le pratiquent (16%). Mais le plus frappant, c’est la part très importante du personnel soignant puisque, dans un cas sur trois, c’est lui qui en est l’auteur. Autre élément révélé par l’enquête de l’Isni : le sexisme se pratique, si j’ose dire, partout à l’hôpital, y compris au bloc opératoire (près de 25% des cas), ou durant une visite hospitalière (22,2%). Et il n’est pas sans conséquences : sans pouvoir mesurer avec exactitude le phénomène, l’isni relève une « différence significative » de l’accès aux postes de recherche pour les victimes de sexisme, et plus généralement pour l’ensemble de leur carrière hospitalo-universitaire.
Et les patients dans tout ça ?
Je ne l’aurais jamais imaginé mais les chiffres sont là : dans près de 10% des cas (9% précisément), le harcèlement subi par les internes femmes est le fait… des patients ou de leur famille ! On est loin des gestes isolés ou rarissimes alors même qu’ils sont, je le rappelle condamnés par la loi. Le fantasme de la blouse blanche ferait-il « péter les plombs » à certains d’entre eux ? Ou se croient-ils tout permis parce qu’elles sont plus jeunes que les médecins en poste ? Quant au sexisme au quotidien, il est plus fréquent encore : dans près d’une fois sur six, l’auteur est un malade ou quelqu’un de sa famille. Un exemple ? Un interne homme qui entre dans une chambre d’hôpital n’est presque jamais pris pour un infirmier (1,5% des cas). Pour une interne femme, cela se produit dans 71,5% des cas ! Et cela ne s’arrête pas à l’entrée dans la chambre… Une fois que l’interne s’est présenté, qu’il a expliqué au patient sa pathologie et qu’il l’a examiné, il arrive que ce dernier demande quand même à voir un médecin. Rarement (7% pour un interne homme). Ou souvent (60% pour une interne femme). Autant dire que pour faire changer – durablement et en profondeur – les mentalités à l’hôpital, il ne suffit pas de sensibiliser ceux qui y travaillent. Le sexisme, ça touche tout le monde.