« Vis ma vie » de malade !
Invité au festival Comm Santé organisé à Deauville la semaine dernière par la sémillante Dominique Noël, j’ai participé au jury du prix de la meilleure communication « Patients et aidants ». C’est à ce titre que j’ai assisté à la présentation d’une initiative que je trouve formidable, « In their shoes » (que l’on pourrait traduire par « Dans la peau de »), et qui montre comment, si elle s’en donne les moyens, l’industrie pharmaceutique peut contribuer efficacement à l’éducation thérapeutique du grand public.
Soutenu par le laboratoire Takeda, ce programme concerne les 200 000 Français atteints de MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin). Plus précisément, il est destiné à tous ceux qui sont, de près ou de loin, susceptibles d’accompagner ces malades : entourage, mais aussi professionnels de santé et/ou responsables associatifs. Pour mémoire, les MICI rassemblent l’ensemble des pathologies caractérisées par une hyper activité du système digestif, maladie de Crohn et recto-colite hémorragique notamment. Des pathologies complexes, incurables et qui, toutes, empoisonnent la vie quotidienne des personnes qui en souffrent – j’avais d’ailleurs évoqué le récit émouvant de l’une d’elles dans un post précédent, il y a tout juste un an.
Parmi les désagréments subis au jour le jour, il y a notamment les interdits alimentaires : fruits, légumes crus, viandes et poissons gras, alcool, sodas, caféine, produits contenant du lactose et du gluten. Il y a, surtout, la fatigue intense, ces douleurs abdominales quasi constantes, et ces diarrhées récurrentes, violentes et imprévisibles qui font que 81% des patients concernés connaissent des difficultés au travail et même qu’un gros tiers d’entre eux a dû réorienter sa vie professionnelle. Et c’est justement pour approcher cette réalité qu’a été conçue « In their shoes ». A ce jour, plus de 400 collaborateurs ont participé dans 15 pays dont la France avec les CHU de Nice et de Nancy – et un taux de réponse de 75% des participants !
De quoi s’agit-il ? Concrètement, c’est une application à télécharger sur son téléphone portable qui va, 48 heures durant, vous permettre de « vivre la vie » d’une personne atteinte de MICI. Vous commencez donc par créer votre avatar (profil personnalisé destiné à refléter votre état émotionnel heure par heure), puis vous récupérez un petit sac contenant onze objets à utiliser tout au long de l’expérience : ceinture abdominale gênante à porter et serrée en permanence (pour simuler les douleurs réelles), protection (couche) pour la nuit en cas d’ « accident » imprévu, barre aux céréales sans gluten pour les fringales, désodorisant après chaque passage aux toilettes etc.
Durant ces 48 heures, vous allez recevoir près de 70 messages comme autant de mises en situation illustrant les difficultés rencontrées au quotidien par les malades. Des exemples ? « Allez aux toilettes et restez-y dix minutes » (à accomplir sur le champ en prenant une photo de l’intérieur des toilettes comme preuve et ce, une dizaine de fois y compris en pleine nuit !) ; « Faites attention à ce que vous allez manger ce midi » ; « Déambulez deux minutes et buvez une tisane » ; « Mettez votre ceinture abdominale même si vous êtes en public » ; « Annulez votre diner de ce soir chez des amis ou expliquez-leur pourquoi vous ne pouvez manger certains aliments » ; « Mettez votre réveil une heure plus tôt que d’habitude » et bien d’autres encore.
Et comme si cela ne suffisait pas, vous aurez aussi plusieurs fois par jour un coup de téléphone (rôle tenu par une comédienne spécialement formée) : une infirmière rappelant un rendez-vous, un médecin donnant des résultats biologiques etc. Vous devrez y répondre, y compris en réunion ! À charge, pour vous, de décider l’attitude que vous adopterez : expliquer votre état de santé, mentir, trouver un prétexte ou autres.
On l’aura compris, ces sur-stimulations permanentes n’ont qu’un objectif : faire vivre, de l’intérieur, une réalité difficile à appréhender concrètement tant qu’on ne l’a pas approchée « pour de vrai ». Nul doute qu’une fois l’expérience achevée, les proches, mais aussi l’ensemble des professionnels concernés, médecins compris, auront un regard plus sensible et plus compatissant sur les 200 000 Français qui vivent leur maladie non pas 48 heures, mais toute leur vie durant…