La bienveillance, « une hygiène démocratique »

J’ai regardé samedi le meeting d’Emmanuel Macron à Lyon retransmis en direct sur les chaines d’info. J’ai aimé sa vision de la France, son discours centré sur les valeurs fondamentales de la République (Liberté, Egalité, Fraternité), ses formules – « la liberté sans l’égalité, c’est très vite la loi du plus fort », « l’égalité, ce n’est pas l’égalitarisme. Ce n’est pas donner la même chose à tous, c’est donner plus à ceux qui ont moins », « l’écologie, pour notre génération c’est une évidence » et bien d’autres.

Mais une phrase a particulièrement retenu mon attention, c’est lorsqu’il a parlé de la bienveillance comme d’une « hygiène démocratique ». Je trouve cette idée forte et belle.

Le mot « hygiène » peut surprendre par son côté médical, presque clinique. Et pourtant il me semble justifié. Car il y a quelque chose de sain – pour filer la métaphore – à faire preuve de bienveillance. Dans les relations interindividuelles bien sûr : être bienveillant, c’est s’abstenir de tout jugement définitif, c’est accorder confiance a priori. C’est reconnaitre l’autre dans son altérité, faire le pari de ses qualités. Autant dire que la bienveillance est essentielle dans les relations de travail, et certains managers feraient bien de la pratiquer sans pudeur ni retenue…

Je ne suis pas naïf : nous vivons dans un monde de plus en plus individualiste, de plus en plus violent – et ce n’est pas l’élection de Trump qui va apporter un peu de douceur. C’est l’ère du repli sur soi, de la méfiance, voire du rejet catégorique de celui qui est différent pour la simple raison qu’il est différent. Voilà pourquoi, à l’échelle collective aussi, la bienveillance est une vertu fondamentale et nécessaire.

Et la France dans tout ça ? Champion toutes catégories du pessimisme généralisé, notre pays est de plus en plus écartelé, marqué par une déconsidération du politique et par une défiance inquiétante vis-à-vis des institutions (police, justice, école notamment). C’est en cela qu’elle est un danger pour la démocratie. Car la démocratie, c’est la confiance dans le jugement du peuple. Mais c’est aussi son corolaire : la confiance du peuple vis-à-vis des politiques – d’où l’effet désastreux de l’affaire des emplois fictifs de Fillon. Résultat : une montée alarmante des extrêmes dans un climat nauséabond de chasse aux « élites » et de dénonciation du « système » – comme si Marine Le Pen ou Mélenchon n’en faisaient pas partie, comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes des professionnels de la politique.

Ces discours hargneux, jouant sur la peur et le sentiment de déclassement, distillent leur poison lentement mais efficacement. Ils fracturent profondément les Français entre eux; ils induisent l’idée que le malheur des uns est de la faute des autres (les immigrés, les bénéficiaires du RSA, les patrons…) ; ils arrivent même à faire croire qu’il suffirait d’enlever quelque chose à certains pour que tout aille mieux.

Ces discours sont terribles surtout parce qu’ils valorisent l’égoïsme, parce qu’ils font passer la bienveillance pour de la faiblesse, voire de l’injustice. Et c’est là où je voulais en venir : à jouer ainsi sur les plus bas instincts, à encourager le chacun pour soi, ils finissent par déconsidérer l’idée même de toute forme de discrimination positive. Réserver 6% des emplois aux personnes en situation de handicap ? Accorder la gratuité des soins aux plus démunis ? Diminuer les charges patronales pour l’embauche des seniors ? Aujourd’hui de nombreux Français répondent : c’est inique car moi je n’ai pas la « chance » d’être pauvre, vieux ou handicapé – j’ai même entendu un jour à la télé quelqu’un balancer froidement « Si c’est ça, je peux me couper une jambe ».

La bienveillance, c’est accepter l’autre dans son humanité. C’est bien de cela qu’il s’agit. C’est bien une hygiène démocratique.