Quand le cinéma s’attaque au Mediator…
Pour avoir suivi de près l’affaire du Mediator et avoir écrit un dossier paru en Une du temps que j’étais à L’Express, j’attendais beaucoup de « La fille de Brest », le film d’Emmanuelle Bercot. Sorti la semaine dernière, il se veut un portrait au plus près de la réalité d’Irène Frachon, la pneumologue qui, contre vents et marées, dénonça le scandale de ce médicament mal et trop prescrit et mit à jour le cynisme du laboratoire Servier.
De fait, le film décrit fidèlement sa combativité, son engagement sans failles auprès des malades et sa façon si humaine de les soigner, de les toucher (au sens propre). Sans complaisance, il évoque son « narcissisme » (terme employé par ses détracteurs, mais pas forcément incongru), son côté chevaleresque, sa volonté inouïe de dénoncer des pratiques scandaleuses, quitte à fragiliser ceux qui la soutiennent – Benoit Magimel très convainquant en épidémiologiste rigoureux.
« La fille de Brest » montre également avec beaucoup de justesse comment on mène une étude scientifique, les difficultés méthodologiques à surmonter, les preuves à apporter – jusqu’à cette scène d’autopsie particulièrement réaliste. Enfin, il relate les faits et leur chronologie implacable sans céder à la facilité du romanesque.
D’où viennent alors mes réticences devant ce film apprécié par la plupart des critiques ? Il y a d’abord la forme même du film : musique omniprésente et inutilement larmoyante ; clichés inutiles (famille idéale, journaliste caricaturale, patients admirables) ; symbolisme outrancier – ah ! cette première scène où l’héroïne nage dans une mer houleuse, seule contre les éléments déchainés… Il y a aussi cette approche un peu trop manichéenne : gentille doctoresse contre méchants professeurs, petite équipe contre gros labos, provinciaux contre parisiens.
Mais il y a, surtout, un élément manquant dans le parti-pris d’Emmanuelle Bercot de s’en prendre à un système vicié de l’intérieur – parti-pris au demeurant tout à fait respectable. Cet élément manquant, mais fondamental, c’est le rôle des médecins prescripteurs.
Car enfin, qui s’est affranchi des règles de bonnes pratiques ? Qui a oublié l’un des préceptes du serment d’Hippocrate, « primum non nocere » (en français, « d’abord ne pas nuire » à son patient) ? Qui a fait des ordonnances à des patients en dehors du cadre prévu ? Qui a renouvelé des mois, parfois des années durant, ces mêmes ordonnances ? Qui, sinon des médecins, généralistes et spécialistes ?
Je le rappelle, le Mediator était en principe réservé aux malades diabétiques, à ceux qui souffraient d’obésité grave, voire morbide. Il ne devait être délivré qu’après une prise en charge et un suivi régulier par un nutritionniste. Ça c’est pour les principes, car dans la réalité bien des médecins se sont allègrement affranchis de ces règles – et le fait qu’ils y aient été encouragés par certains patients ne change rien à l’affaire.
Je rappelle également que les autorités de santé avaient tous les moyens à leur disposition pour contrôler des dérives qui duraient depuis longtemps. Elles ne l’ont pas fait – et le fait que Servier ait menti effrontément à ces mêmes autorités ne change rien non plus à l’affaire.
Voilà ce qu’aurait pu montrer, aussi, Emmanuelle Bercot. Sans tomber dans la facilité du « tous pourris », cela n’aurait pas enlevé grand-chose aux responsabilités réelles du laboratoire ; mais le film aurait sans doute pris une autre dimension. A trop vouloir prouver…