Affaire Vincent Lambert: il faut changer la loi Léonetti

Je ne voulais pas parler de « l’affaire Lambert ». Non que je n’en pense rien à titre personnel mais ce sujet ressort, me semble-t-il, de l’intime, de la conviction individuelle. En l’occurrence, la mienne est qu’il serait temps d’arrêter les soins pour cet homme qui, depuis onze ans, se trouve dans un état végétatif. Incapable de s’alimenter et de s’hydrater, incapable de parler ni même d’établir quelque contact que ce soit avec le reste du monde, Vincent Lambert est sans aucun doute vivant mais, à mes yeux, cela ne signifie pas qu’il mène une vie acceptable.

Je ne voulais pas non plus en parler parce que, sur le plan médical, les experts ne sont pas d’accord entre eux. Et, de fait, cet état dit « pauci-relationnel » est scientifiquement mal établi – j’en veux pour preuve cette vidéo mise sur Internet hier par sa mère, et qui donne l’impression que Vincent Lambert réagit à ses paroles alors que des neurologues expliquent qu’il s’agit uniquement de mouvements réflexes. Spécialistes en soins palliatifs d’un côté, praticiens MRP (médecine physique de réadaptation) de l’autre, tous invoquent l’éthique et le serment d’Hippocrate – mais pour parvenir à des conclusions radicalement opposées.

Je ne voulais pas en parler non plus car sur le plan juridique la situation n’est pas plus claire. Avec, en toile de fond, un conflit larvé entre tribunaux administratif et judiciaire qui aboutit là aussi à des décisions contradictoires : références à la Cour Européenne des Droits de l’Homme d’un côté, au Comité International des Droits de l’Homme de l’autre, ONU contre Europe, Conseil d’État contre Cour d’appel de Paris… je me garderais bien de trancher dans un sens ou dans un autre mais je trouve qu’il y a quelque chose de profondément inhumain dans ces décisions incohérentes prises entre le lundi matin et le lundi soir.

J’en étais là de mes réflexions hier soir et voilà qu’en allumant la télé, je tombe sur la déclaration de Jean Paillot, l’avocat des parents de Vincent Lambert – des parents qui, je le rappelle, s’opposent depuis le début à l’arrêt des soins au nom de convictions religieuses bien tranchées, puisqu’ils sont proches des traditionnalistes de la Fraternité Saint Pie X. Et que dit cet avocat, entouré de manifestants hurlant derrière lui « On a gagné » à la suite de la décision de la Cour d’appel ? « Ce n’est que la première des victoires. C’est la remontada ». C’est là que j’ai décidé d’en parler.

Pour ceux qui ne s’intéressent pas au football, la « remontada » est un terme espagnol qui fait référence à un match a priori perdu d’avance et finalement gagné. Comme lors de la Ligue des Champions l’année dernière, où le Barca avait perdu contre le PSG 4-0 à l’aller avant de gagner deux semaines plus tard au match retour sur le score sans appel de 6-1.

Ainsi donc,  l’affaire Lambert serait comparable à un match de foot ? Une sorte de compétition entre deux équipes, les « pro life » et les autres ? Jean Paillot réalise-t-il, quand il prononce ces mots, leur obscénité ? Se rend-il compte qu’il reconnaît par là-même que Vincent Lambert ne serait finalement qu’un prétexte à un combat idéologique ? Où est l’empathie ? Où est la compassion ? Où est le respect de la personne humaine qu’est Vincent Lambert ? Qu’y-a-t-il de chrétien dans une telle phrase ? Sans parler de sa mère qui ose employer les termes de « voyous » et de « nazis » à propos de ceux qui ne partagent pas ses opinions.

Au-delà de l’indécence de ces propos, j’y vois quant à moi les limites de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie votée en 2005, enrichie – en quelque sorte – par la loi de 2016 instaurant un droit à « la sédation profonde et continue ». En effet, si le cadre est clair dès lors que des directives anticipées ont été exprimées par le patient, il est en revanche plus flou lorsque celui-ci n’est pas en état d’exprimer sa propre volonté : les médecins doivent interroger la « personne de confiance » (si elle a été désignée à temps) ainsi que la famille.

Et c’est bien là que le bât blesse : la loi Leonetti n’a pas expressément prévu ce qu’il convenait de faire lorsque la famille n’était pas d’accord entre elle. Or, dans le cas Lambert, sa femme et certains membres de sa famille demandent l’arrêt des soins, mais d’autres, dont ses parents, s’y opposent farouchement. Quitte à dévoyer profondément l’esprit de la loi en multipliant les recours juridiques, jusqu’à menacer de poursuites pénales et de demande de radiation professionnelle le médecin qui accomplirait l’arrêt des soins.

Il serait donc temps d’en finir avec ce flou juridique. Pourquoi ne pas, par exemple, s’appuyer sur les lois existantes en matière de succession ? Ce serait ainsi, et dans cet ordre, à l’époux/se de se prononcer en premier. A défaut, on consulterait les enfants majeurs du patient. Et ensuite, mais ensuite seulement, les parents. Cette « hiérarchie », même imparfaite, aurait au moins un mérite : éviter des années de souffrance inutiles à l’ensemble de la famille. Et empêcher des parents d’imposer, au nom de leurs convictions religieuses, des choix qui ne sont pas ceux de la seule personne qui a vraiment partagé la vie de Vincent Lambert : sa femme.